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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pavé
luisant, il attendit, ses cheveux gris collés par la pluie, laquelle ruisselait
sur sa face, sans que celle-ci bougeât et sans autre effet que de la faire, par
moments, frissonner. D’aucuns marauds, observant ce tremblement, lui crièrent
qu’il n’allait pas tarder à se réchauffer. Mais cette gausserie fit éclore peu
de rires, la foule n’ayant d’yeux dans l’instant que pour Vignogoule.
    Le bourreau – celui-là même qui
m’eût tranché le chef si le Présidial m’avait fait mon procès – était une
vraie montagne d’homme, haut de six pieds au moins, gros et gras en toutes les
parties de son corps, du croupion à la bedondaine et de la bedondaine aux
tétins, lesquels tombaient sur son torse comme ceux d’une garce ; la face
grasse aussi, les yeux fort pâles et délavés, les cheveux, les sourcils et les
cils non point tant blonds que sans couleur. Bien que sa force fût prodigieuse,
il se mouvait avec une mollesse extrême, dodelinant du chef, son ventre sur sa
ceinture tressautant, son large cul se balançant dans ses chausses, et le pied
se posant sur le sol avec aussi peu de bruit que la patte d’un chat, sauf que
cette patte était monstrueuse, comme ses mains, tant grandes, fortes et
puissantes qu’elles pouvaient étrangler, le temps d’un battement de cils,
l’homme le plus robuste comme elles l’eussent fait d’un pigeon.
    En son déportement ordinaire,
Vignogoule n’eût pu, semblait-il, tuer mouche ou moustique car de cet énorme
corps sortait une voix fort douce. Son geste était rond et caressant, et sa
contenance, suave, benoîte et pateline. Cependant, ayant le cœur vide de toute
humanité, mais bien à rebours, une friandise inimaginable pour le pâtiment
d’autrui, dès que le moment venait pour lui de mettre à la question un
malheureux, ou de l’étrangler, ou de le décapiter, ou de le pendre ou de le
brûler, son œil fixé sur sa victime tout soudain s’exorbitait, sa pupille se
dilatait, il ouvrait toute grande la bouche et son souffle devenait tant rauque
et bruyant que s’il besognait une garce.
    Combien qu’elles aimassent les
spectacles qu’il leur donnait, Vignogoule était haï, honni et déprisé des
bonnes gens, peut-être parce que son infâme cruauté leur présentait de la leur
un miroir qui la grandissait. Dès que Cabassus fut dévêtu et en chemise,
Vignogoule, qui dominait son frêle et maigre corps de la tête et des épaules,
se mit, en l’envisageant, à haleter comme un soufflet de forge, ses larges
mains tremblant au bout de ses doigts, et le blanc de l’œil lui sortant des
paupières. Et encore que le populaire retînt son souffle pour épier le sien, il
ne put longtemps supporter l’odieuse volupté du bourreau et, éclatant tout
soudain en haine et en imprécations, il hurla :
    — Brûle-toi, Vignogoule !
Brûle-toi !
    À quoi le juge-mage fit battre le
tambour, et le silence se faisant sur la place, il se tourna vers Vignogoule et
lui dit avec un dégoût extrême :
    — Fais ton office, vilain, sans
tant languir.
    Vignogoule, toujours haletant et
l’œil dilaté, s’avança alors vers Cabassus et lui donnant du plat de la main,
dans le dos, une poussée fort douce et quasi caressante, de l’autre main, il
montra le bûcher, mais sans mot piper, ne le pouvant sans doute, son souffle
étant si laborieux. Sur quoi Cabassus s’élança joyeusement sur les fagots par
des degrés qu’on y avait ménagés, et comme sans doute le bourreau le lui avait
dit, s’assit au pied du poteau, les jambes repliées sous lui. En cette
position, il attendit avec une émerveillable patience, la face calme et sans
battre un cil, encore que toujours frissonnant de la froidure et de la pluie.
    Vignogoule, toujours haletant, monta
à son tour sur le bûcher et, liant les mains de Cabassus sur sa poitrine à la
hauteur de l’épigastre, lui attacha le torse au poteau de plusieurs tours de
cordelette, faisant un nœud à chaque tour derrière son dos afin, je gage, que
si la flamme attaquait le chanvre, la cordelette ne se défît pas pour autant en
totalité. Ensuite, il passa autour du col du condamné le nœud coulant que
Fogacer m’avait montré, et vérifia si le bout libre coulissait bien à travers
le trou percé dans le poteau. Quoi fait, il posa sur les fagots, à une
demi-toise environ de Cabassus, et devant lui, le manuscrit de son traité sur
l’athéisme que la sentence du Présidial avait ordonné de brûler en

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