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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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était et le bruit
de ses pas avait à peine cessé que je vis, me penchant (mais entre deux pans de
rideaux, prenant grand soin qu’on ne m’aperçût). Maître Sanche entrebâiller son
huis et dire qu’il donnerait ce qu’il avait d’huile, mais qu’il en avait fort
peu, et assurément point en quantité suffisante pour embraser le bûcher.
    — Bourreau ! cria le
juge-mage à Vignogoule, quiers de la paille !
    Cependant, Cabassus brûlait à feu
petit, et les flammes le léchant mais sans s’élever, se convulsait comme fol
dans ses liens et poussait des cris stridents et déchirants, sans que personne
ne pût prévoir quand finirait son supplice, la paille devant être quise à la
sortie de ville et ramenée en chariot, ce qui demanderait une bonne heure. Et
la hurlade du malheureux à la fin incommodant la populace, celle-ci, par une
étrange révolution de ses sentiments, commença à plaindre son pâtiment et
gronder contre le bourreau et même contre ses juges, et d’autant que tout
soudain des éclairs aveuglants et des coups de tonnerre éclatèrent au-dessus de
la ville, comme si le ciel lui-même eût été mécontent qu’on brûlât si mal celui
qui le niait.
    Un fol (comme il en est toujours en
ces grands concours de peuple), prophétisant et hurlant à maintes reprises que
Cabassus n’allait pas tarder à être foudroyé par le Tout-Puissant, il y eut
dans la foule un flux et reflux fort étonnant, d’aucuns, craignant la foudre,
s’éloignant du bûcher et d’autres, pour mieux la voir tomber sur Cabassus, s’en
rapprochant, ce qui produisit quelque tumulte, le flot montant et le flot
descendant se heurtant et le heurt amenant des insultes, des coups et des
navrements.
    Le remuement de la foule inquiétait
fort les juges et les chanoines qui, cependant, devaient demeurer là jusqu’au
terme de l’exécution, si fort incommodés qu’ils fussent par l’épaisse fumée qui
s’échappait du bûcher et que le vent poussait de leur côté, et sans qu’ils
pussent bouger non plus, les archers étant derrière eux et leurs piques à
l’horizontale, contenant à grand’peine le populaire. Quant à Cossolat, entouré
d’un fort peloton d’archers, il tâchait d’apaiser les échauffourées éclatant çà
et là et poussant son cheval vers elles, il cajolait et menaçait tour à tour la
foule comme à son ordinaire, mais celle-ci, comme affolée par les stridentes
hurlades de Cabassus, par les éclairs qui traversaient le ciel noir et livide
et les roulements interminables du tonnerre, ne répondait à ses appels que par
des grondements sauvages.
    Ma décision fut prise en un clin
d’œil. J’armai une arquebuse et, prenant bien garde que son canon ne dépassât
pas les deux pans du rideau, je visai Cabassus au cœur.
    — Par tous les diables de
l’Enfer ! s’écria Fogacer en entrant dans ma chambre et, courant, il
abaissa le canon de mon arme, qu’allez-vous faire, Siorac ? Êtes-vous
fol ? N’avez-vous pas des ennuis et des traverses assez ? Tuer un
condamné, c’est meurtrerie, c’est crime capital ! Allez-vous offenser le
Présidial et risquer votre chef à nouveau ?
    — Fogacer, dis-je, observez que
les juges et les chanoines sont aveuglés par la fumée, que Cossolat a fort à
faire avec la foule, que le tonnerre roule sans discontinuer, que mon arquebuse
ne sera pas ouïe, et qu’enfin on ne pourra trouver trace de ma balle, Cabassus
étant réduit en cendres. Fogacer, serais-je assez couard pour accepter que
Cabassus atrocement agonise une grande heure encore ? J’ai quelque part à
ce bûcher, comme vous savez.
    — Vous n’en eûtes aucune !
s’écria Fogacer tenant toujours mon arme abaissée. Cabassus est là pour avoir
écrit le Nego et pour ce qu’il désirait à force forcée le martyre.
    — J’ai fourni l’occasion de sa
perte.
    — L’occasion mais non la
cause ! s’écria Fogacer.
    — Ha logicien !
m’écriai-je. Nous disputons et il hurle ! Ôtez la main de ce canon,
Fogacer ! Ma décision est prise !
    Fogacer m’envisagea un petit en
silence, puis lisant dans mes yeux qu’il ne saurait m’ébranler, il lâcha mon
arme. Je la mis à l’épaule, visai avec un soin extrême, retins mon souffle, et
fis feu. Je reculai incontinent afin que la fumée qui s’échappait du canon ne
fût pas vue ; après quoi posant l’arquebuse contre un mur, je courus à la
fenêtre. La tête de Cabassus pendait sur sa poitrine, son corps

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