En Nos Vertes Années
ne bougeait mie,
sa hurlade avait cessé. Et comme au même instant, le hasard le voulant, le
tonnerre se tut et la pluie s’arrêta, un grand silence se fit sur la place des
Cévenols, le remous en tous sens des vagues fluantes et refluantes de la foule
s’apaisa, et tous demeurèrent cloués sur place et comme étonnés. Là-dessus, les
chanoines se concertèrent à nouveau et le plus âgé, se dressant sur ses étriers
et s’adressant au peuple, dit d’une voix forte :
— La fumée de l’impie qu’on
brûlait a irrité le ciel et vous avez vu l’effet de son courroux et de sa
compassion.
Le peuple répondit par une clameur
de liesse à cette phrase, laquelle était, au demeurant, fort habile car sans
dire tout à fait que le Seigneur avait foudroyé Cabassus – personne
n’ayant vu un éclair le frapper – elle laissait cependant entendre qu’il
était intervenu tout à la fois pour châtier l’athée et pour mettre fin, dans sa
miséricorde, à son interminable agonie.
— C’en est fini ! reprit
le chanoine quand, le populaire s’accoisant, il put de nouveau parler. Récitez
avec nous le Notre-Père. Quoi fait, que chacun rentre en sa chacunière sans
troubler l’ordre public.
D’une voix tonnante qui parut
remplir toute la place, il commença alors l’oraison dominicale, laquelle fut
entonnée à sa suite par la foule avec une émerveillable ferveur.
— Eh bien, Siorac ! dit
Fogacer en arquant son sourcil et parlant d’une voix amère et dépit, vos lèvres
ne remuent point ! Vous ne faites pas oraison ? Vous ne priez pas
avec ces chattemites qui osent parler de compassion ! Vous êtes pourtant
l’auteur unique et véritable du miracle qu’ils célèbrent !
— Ha Fogacer ! dis-je, ne
raillez pas ! Ce bûcher est une abomination et de ma vie je ne
l’oublierai.
Et ce disant, fermant ma fenêtre, je
m’assis sur une escabelle, et mis la tête entre mes mains.
— Quoi qu’il en soit, dit
Fogacer, une chose est sûre : après ce miracle-ci, personne ne pourra vous
accuser d’avoir tiré.
En quoi, comme il me l’apprit
lui-même le lendemain soir (ayant vu son ami), il se trompait. Les juges du
Présidial soupçonnèrent qu’un quidam avait, d’une fenêtre, achevé Cabassus d’un
coup d’arquebuse et opinèrent que personne d’autre que moi n’aurait eu l’audace
de le faire ni de le faire d’une fenêtre plus commodément située. Mais après en
avoir entre eux longuement disputé, ils décidèrent qu’ils ne pourraient
enquêter là-dessus sans contredire la version de l’intervention divine que tout
le peuple croyait, ni affronter derechef le Vicomte de Joyeuse. Cependant, leur
exécration pour moi grandit à proportion de leur impuissance, et Fogacer, me
répétant leurs venimeux propos, me conseilla de quitter la ville, au moins pour
un temps.
— Si vous avez pu tirer sur
Cabassus, dit-il, un gojat ne pourrait-il aussi tirer sur vous d’une fenêtre,
tandis que vous passez dans la rue ? Et à quoi vous servira alors d’être
si vaillant et si bien armé ?
*
* *
Dix jours après l’exécution de
Cabassus, on brûla la Mangane, brûlement dont j’eus grande compassion, encore
que cette pauvre folle m’eût mis à pain d’angoisse avec son nouement d’aiguillette.
Mais n’avais-je pas bien reconnu que c’était farce et batellerie, comme le
reste de ses simagrées ? Et ne savais-je pas bien, comme Fogacer avait
dit, qu’on la brûlait pour ce qu’elle troublait les esprits du populaire en
feignant d’adorer le démon, et non point pour son pouvoir démoniaque, lequel
n’existait point. Quant à la misérable mignote, élevée par des fols dont
c’était le rêve et délire d’avoir commerce avec l’Enfer, comment n’eût-elle pas
joué avec un pensement dont elle avait sucé le lait dès l’enfance ?
Nourris à Dieu, nous le confessons. Nourrie au diable, elle l’avouait.
Était-elle sorcière ? Je dis que non. Et qu’elle-même le crût et le décrût
à la fois, j’en veux la preuve en ce qu’elle me prît pour Belzebuth quand la
chose l’accommodait, et dès qu’elle fut sortie de mes bras, fut fort dépit de
sa commode erreur.
Je ne sais qui paya à cette occasion
Vignogoule, mais d’après ce qu’on me dit, il apparut qu’au rebours de ce que le
bourreau avait fait pour Cabassus, il étrangla fort proprement la pauvre garce
dès qu’il eut bouté le feu, si bien que le temps étant remis au beau
Weitere Kostenlose Bücher