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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et les
fagots fort secs, le bûcher s’embrasa en un battement de cil et réduisit en
cendres un corps inerte. Tant est enfin que le populaire qui avait si fort
rebiqué parce que Cabassus pâtissait trop, rebiqua tout autant, la Mangane ne
pâtissant pas assez.
    Le même jour à quatre heures de
l’après-midi, un valet vint me dire qu’un ministre de la religion réformée,
Abraham de Gasc, demandait à me voir. Étonné assez de cette demande et le valet
étant de moi au surplus déconnu, je craignis quelque embûche et envoyai Miroul
demander à M. de Gasc si ce valet était bien à lui et s’il était constant qu’il
requérait ma visite. On me répondit que oui et, troquant mon pourpoint de satin
bleu pour ma vêture noire, laquelle convenait mieux, je gage, à mon austère
interlocuteur, je m’en fus, bien armé, et rasant les murs, jusqu’à la demeure
du ministre. Celle-ci n’était point pauvre ni chétive, M. de Gasc tenant
boutique en Montpellier de chandelles qu’il faisait venir de Lyon et, d’après
ce qu’on dit, prospérant grandement à ce commerce.
    Toutefois, l’intérieur de sa maison
me parut fort dénudé et j’augurai, à la voir ainsi, que M. de Gasc préférait
avoir de l’or dans ses coffres que des tentures sur ses murs. M. de Gasc était
grand et maigre, et le visage si creux que la peau lui collait sur les os sans
charnure aucune, ce qui, n’eussent été le nez et aussi le feu de ses prunelles
noires, lui eût donné quelque ressemblance avec une tête de mort.
    — Monsieur, me dit-il, il court
sur vous en ville tant de bruits si divers que j’aimerais que vous me disiez ce
qu’il en est, étant comme vous êtes de la religion réformée.
    Ce début me déplut fort, et je dis
non sans froideur :
    — Monsieur le Ministre, ma
fidélité à la religion réformée me fait-elle une obligation de me soumettre à
la confession auriculaire ?
    Celle-ci étant par nos huguenots
honnie et déprisée comme une des pires inventions papistes, je ne pouvais
davantage affronter M. de Gasc qu’en lui prêtant l’intention de m’y
contraindre. Et en effet, il devint cramoisi et demeura un moment le bec cloué.
    — Monsieur de Siorac, dit-il
enfin, la confession n’est point chez nous un sacrement et moins encore une
obligation. Toutefois, n’est-il pas de mon devoir en tant que ministre de la
religion, de m’enquérir du déportement des fidèles de notre culte ?
    — Je ne sais, dis-je. Jamais
aucun ministre ne m’a posé de question.
    — Et qui donc vous en posait en
votre Sarladais ? dit le ministre avec un haut-le-corps.
    — Mon père.
    — Monsieur votre père étant
absent, ne pouvez-vous me tenir pour tel ?
    — Mais Monsieur le Ministre,
dis-je sans battre un cil, j’ai déjà un père céans à qui je rends compte de mes
actes, c’est le Chancelier Saporta.
    — Et ne pouvez-vous avoir même
fiance en moi qu’en le Docteur Saporta ?
    Ceci m’embarrassa quelque peu et
baissant l’œil, je me donnai le temps de la réflexion. Car je ne voulais ni
affronter derechef le ministre ni toutefois céder à ses exigences.
    — Monsieur le Ministre, dis-je
enfin, j’aurais même fiance en vous qu’au Docteur Saporta, si vos questions
étaient tant discrètes que les siennes.
    — Ha ! dit le ministre,
quel interlocuteur est-ce là qui me rogne mes questions avant que je les aie
posées ?
    — Monsieur le Ministre, mieux
vaut rogner les questions que les réponses.
    — Entendez-vous que vos
réponses ne seront point sincères ?
    — J’entends que je ne me
laisserai pas confesser contre mon gré.
    — Vous sentez-vous donc si
coupable ?
    — Certes, Monsieur le Ministre,
je me sens fort coupable envers mon créateur.
    — Ha ! dit le ministre,
que je suis aise de vous l’entendre dire !
    Et en effet, à bien l’envisager, il
me parut soulagé d’un grand poids. Ce qui n’eût pas laissé de m’étonner si la
suite ne m’avait pas incontinent éclairé sur les soupçons qu’il nourrissait.
    — Mon fils, reprit-il en levant
les deux mains, vous n’avez donc point foi perdue au contact de cet
athée ! Vous croyez en Dieu !
    — Certes ! dis-je, béant.
Et fort marri je suis que vous ayez pu penser le rebours alors que je n’ai
jamais à ce jour manqué le culte ! Suis-je un chattemite pour professer
des lèvres ce que mon cœur décroit ?
    — Mon fils, dit le ministre,
pardonnez-moi de grâce. Je suis infiniment content que

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