En Nos Vertes Années
le démon n’ait point
fait de vous sa proie, tant il en a eu d’occasions. Car pour dire le moins, mon
fils, peu édifiant est votre quotidien déportement. À ce qu’on me dit, vous
courez le cotillon. Vous avez dansé le branle et la gaillarde lors du Carnaval.
Et on vous a vu à l’auberge des Trois-Rois faire une partie de tric-trac
avec un compagnon.
Ha, pensai-je, assez dépit de me
voir ainsi assaisonné, le tric-trac ! Comme à Clément Marot à Genève, on
me fait grief de ce divertissement innocent ! Mais gageons qu’on ne va pas
me taxer d’adultère : ma complice est trop haute dame pour qu’on la puisse
nommer. Qu’on soit papiste ou huguenot, la morale s’arrête, effarouchée, sur
les degrés du pouvoir.
— Monsieur le Ministre, dis-je,
vous faites si bien les questions que les réponses deviennent inutiles.
— J’ai une question, pourtant,
à vous poser, dit le ministre avec gravité. Le bruit court dans les couloirs du
Présidial que vous avez le 25 septembre achevé Cabassus agonisant sur son
bûcher d’un coup d’arquebuse.
— Monsieur le Ministre, dis-je
avec une extrême froideur en me levant, le Présidial a renoncé à enquêter à ce
sujet. Désirez-vous reprendre l’enquête à votre compte ?
— Vous ne m’entendez pas,
Monsieur de Siorac, point n’ai affaire au crime, mais au péché. Et c’en est un
de dérober au Seigneur le juste châtiment d’un impie.
— Vous ai-je bien ouï, Monsieur
le Ministre ? dis-je béant. Quiconque a tué Cabassus a commis un péché
pour ce qu’il a abrégé les souffrances terrestres d’un athée ? Ne peut-on
s’en remettre à Dieu pour que l’athée soit châtié dans l’au-delà, si Dieu le
veut ?
— Erreur, Monsieur de Siorac,
gravissime erreur ! s’écria M. de Gasc en levant les deux mains. La
souveraineté absolue du Seigneur ne dispense point l’homme de son devoir,
lequel est sur cette terre de poursuivre et de punir l’impie.
— Les papistes ont donc bien
fait de brûler Cabassus ?
— Nous l’eussions brûlé aussi,
dit M. de Gasc avec gravité.
— Et à feu petit, si le feu
n’eût pas pris ?
— Pouvez-vous penser, Monsieur
de Siorac, que la pluie, ce jour-là, fût fortuite et non pas expressément
voulue par la Providence ?
— Ha ! dis-je, c’est donc
cela ? La longue et atroce agonie de Cabassus était voulue par Dieu et
quiconque l’a abrégée a commis un péché ? Pour ce qu’il a contrarié la
volonté divine ? Vous ai-je bien entendu, Monsieur le Ministre ?
— Assurément.
Je baissai les yeux, glacé jusqu’au
clos de mon cœur par ce que je venais d’ouïr et qui était si contraire à mon
sentiment. Du reste, mon instinct ne laissait pas, en plus, de flairer là
quelque péril car, me disais-je, si le Ministre de Gasc a appris des
« couloirs » du Présidial que j’ai tiré ce coup d’arquebuse, que je
cuidais miséricordieux mais qui est tenu tout à la fois par huguenots et
papistes comme insigne impiété, ne dois-je pas ici prendre garde ? Qui sait
si l’information ne coule pas dans les deux sens ? Et si ce que je vais
dire céans ne sera pas répété demain dans les « couloirs » des juges.
— Eh bien ! dit M. de
Gasc, vous n’avez point répondu à ma question : Êtes-vous l’homme qui tira
sur Cabassus ?
Sur quoi, l’envisageant œil à œil,
je dis sur le ton le plus bref :
— Non.
Que M. de Gasc me crût ou me décrût,
à ce jour je ne saurais dire, car sans que sa contenance perdît une once de son
habituelle gravité, il me dit :
— Monsieur de Siorac, je vous
renvoie à votre conscience. Puissiez-vous vous accommoder à elle, ou elle à
vous.
C’était là, je gage, un douteux
compliment mais je le pris comme un congé courtois. Et, gardant une face de
bronze, l’œil baissé mais non point la crête, et m’inclinant profondément (sans
que M. de Gasc me rendît mon salut ni prononçât une seule parole d’adieu) je
m’en allai. En haine que j’étais déjà aux acharnés papistes, il était clair,
hélas, que chez les miens, jetais en mauvaise odeur, ma foi mise en doute, mon
déportement décrié. Cependant, je ne doutais pas que si les premiers m’eussent
occis, les seconds, par esprit de parti, eussent tâché de me venger : ce
qui m’était consolation fort maigre après la remontrance que j’avais essuyée.
Le carrosse de M me de
Joyeuse m’attendait rue de la Barrelerie et, prenant cependant
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