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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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le temps de
remettre mon pourpoint de satin bleu, j’y montai en pensant qu’il me venait
d’un cotillon sur lequel, ou sous lequel, le Ministre de Gasc n’eût jamais osé
mettre un nom, pas plus d’ailleurs qu’il n’avait évoqué le déterrement du
cimetière Saint-Denis, peut-être parce qu’il savait que les minutes qui
m’incriminaient avaient été brûlées : péché au demeurant médiocre à ses
yeux, comparé à celui d’avoir abrégé de quelques minutes en ce monde les
souffrances d’un athée, alors même qu’il pensait que celles-ci seraient
éternelles dans l’autre.
    Ha ! pensai-je, où est ici
l’humanité ? Où est le Dieu de pardon et d’amour ? Nous qui tenons
pour la réforme, avons-nous en ce domaine poussé plus outre que les
papistes ? Ou sommes-nous pas encore comme eux dans les ténèbres et la
folie de l’antique férocité ?
    Il faut croire, en tout cas, que ce
coup d’arquebuse m’avait en tous quartiers fort desservi. Grande fut ma peine,
quand j’observai qu’à l’hôtel de Joyeuse aussi, j’étais mal accueilli si j’en
jugeais du moins par la froidure d’Aglaé de Mérol, laquelle, cheminant à mon
côté, repoussa mes avances, mes compliments et mes petites gausseries, et
refusant même de sourire, m’ôta jusqu’à la vue de ses fossettes et partant, le
plaisir d’y nicher mes baisers.
    Ha ! pensai-je, le cœur me
serrant, de quelle glace sera la maîtresse si la dame d’atour est si
froide !
    — Monsieur de Siorac, dit M me de Joyeuse, dès qu’elle fut seule avec moi, et en prenant un de ses grands airs
sans même me donner sa main à baiser, pour le coup, vous êtes chez moi en
disgrâce, pour ne point vous le celer. M. de Joyeuse est fort dépit contre vous
et dit bien haut que vous ne méritez pas sa protection, marchant de folie en
folie, et commettant crime sur crime, le dernier vous ayant mis toute la ville
à dos. À peine sorti d’un bourbier, vous voilà vous fourrant dans un
autre ! C’est démence ! Et pourriez-vous me dire, Monsieur, ce qui
vous a poussé à tirer ce coup d’arquebuse ?
    — Madame, dis-je, ma
compassion.
    Combien que j’eusse le cœur
atrocement noué de cet accueil, la roideur de M me de Joyeuse m’avait
raidi et c’est l’œil sec et la mine assez fière que je lui fis cette réponse.
    — Monsieur, dit-elle, fort
piquée de ce ton, vous placez bien mal votre compassion ! Un athée !
Avez-vous tourné impie ?
    — Madame, dis-je, c’est là me
faire insulte, je crois en Dieu, mais pour moi Cabassus n’était pas qu’athée,
il était homme, et je n’ai pu supporter ses épouvantables souffrances. Si j’ai
mal fait, Dieu me jugera.
    — Monsieur, dit M me de Joyeuse en se redressant, est-ce à dire que l’homme n’a pas à vous
juger ? Osez-vous bien m’en remontrer, tout béjaune que vous soyez ?
    — Non, Madame, dis-je avec
autant de fermeté dans la mine mais avec plus de douceur dans la voix. Loin de
moi la pensée de vous affronter. Je sais la gratitude que je dois à votre
gracieuse bénignité et encore que je sois marri de perdre la protection de M.
de Joyeuse dans les périls qui m’environnent, je suis infiniment plus fâché
d’avoir perdu votre amitié, vous dont la beauté et la bonté éclairaient ma vie.
Mais je vois, Madame, que j’ai lassé votre patience, que je suis ici désaimé,
qu’on n’y désire plus ma présence. Souffrez donc que je prenne de vous mon
congé, en vous suppliant, avant que de partir, de m’abandonner une dernière
fois votre main à baiser.
    Disant ceci, et fort ému, je
m’agenouillai devant elle, tendant ma dextre. Mais elle n’y mit point la
sienne. Ce qui ne laissa pas de m’embarrasser et, qui plus est, de me navrer le
cœur au point que les larmes que je retenais roulèrent le long de mes joues.
Cependant, relevant la tête pour épier sa belle face, je la vis assez peu
composée, fort pâle et sans la hauteur qu’elle y avait mise quand j’étais
entré. Puis se reculant, elle s’assit ou plutôt se laissa choir dans un
fauteuil mais l’œil baissé et sans mot piper, ce qui m’étonna fort, le silence
étant peu dans sa complexion.
    Je ne sus d’abord quel parti
prendre, mais comme je ne pouvais point rester éternellement à genoux au milieu
de la chambre et la dextre tendue, je ne vis d’autre issue à mon embarras que
de faire comme j’avais dit et, me levant, je la saluai et me dirigeai vers

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