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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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béjaune,
périgordin crasseux, rustique mal dégrossi, athée et scélérat.
    — Ha Pierre !
s’écria-t-elle en riant incontinent à gueule bec, on ne saurait vous en vouloir
longtemps. Au jeu des épingles, vous tirerez toujours la vôtre ! Vous êtes
si adroit ! Vous jouez si bien du plat de la langue ! Allons, je vois
bien qu’il faut qu’on vous cède et qu’on vous pardonne ! Mais vous allez,
en revanche, me promettre d’être désormais mon esclave et de m’obéir en tout.
    — Ha, Madame ! Votre
esclave ? Quand vous ai-je jamais désobéi ?
    Mais le lecteur sait déjà ce que
vaut l’aune de ce langage-là et de quelles mignonneries il était la préface en
notre Ecole du Gémir et les bonnes leçons qu’il inspirait à l’un comme à
l’autre. Dans celles-ci cependant, je ne voudrais pas entrer plus outre, ayant
déjà dit beaucoup à ce sujet, et plus peut-être que je n’aurais dû, en dépit
des licences que ce siècle permet.
    Cependant, nos lectures achevées, et
régent et écolier reprenant souffle derrière les bleus rideaux, et non point certes
s’accoisant, le moment étant propice aux jaseries à l’infini, aux rires, aux
gausseries, aux mille petites confidences de notre quotidien, tout soudain M me de Joyeuse se mit à pleurer, les larmes coulant sur sa belle face, sans que
d’abord elle consentît à me dire ce qui provoquait son chagrin.
    — Ha mon mignon ! dit-elle
enfin, j’eusse préféré vous quitter dans la colère comme j’ai tâché de le
faire, mais vous quitter je dois, ou ce qui revient au même, c’est vous qui
devez départir de Montpellier, du moins pour un temps. Il le faut. M. de
Joyeuse et Cossolat opinent que si vous demeurez céans, vous ne pouvez manquer
d’être assassiné, tant est grande l’exécration où vous êtes tenu par les
acharnés de notre parti.
    — Moi, m’écriai-je, fuir !
Fuir devant ces gens ! Et vous quitter ! Dans les dents de la mort je
ne le ferai point !
    — Oh si, mon Pierre, vous le
ferez ! dit M me de Joyeuse. Vous le ferez quand je vous aurai
dit ce qui se trame et que nos espions nous révèlent.
    — Madame, dis-je comme elle
restait silencieuse, je vous ois. De quoi s’agit-il ? Un complot contre ma
personne ?
    — Et non ! Contre votre
gentil frère !
    — Contre Samson !
m’écriai-je, en me redressant, fort effrayé sur mon séant, mais qu’a-t-il à
voir dans l’affaire dont on s’est aigri contre moi ? Dieu le sait, c’est
le plus innocent des êtres !
    — Samson pourtant court les
plus grands périls !
    — Mais pourquoi ?
    — Pour ce qu’il est votre
frère. Pour ce qu’il se garde moins que vous. Qu’il n’est pas si prompt à
dégainer, ni à faire feu de ses pistoles, et enfin parce qu’ainsi on vous
navrerait davantage, sachant la grande amour que vous lui portez.
    — Mais, m’écriai-je quasi hors
de mes sens, quelle sorte de gens est-ce là pour s’en prendre à cet ange du
ciel !
    — Des dévots – lesquels
sont implacables quand leur ire est soulevée.
    — Mais Madame, dis-je prenant
la décision en un clin d’œil, s’il y va de la vie de mon Samson, certes, je
départirai, mais où aller ? Je ne peux sans la permission de mon père
retourner en sa baronnie.
    — Ha ! Dieu merci, mon
mignon, vous n’irez pas si loin ! J’ai à Nismes un fort bon ami, M. de
Montcalm, lequel est officier royal de la sénéchaussée étant juge-mage [82] .
M. de Montcalm, qui fut autrefois un de mes martyrs, vous recevra fort bien et
pour le temps que je voudrai et à Nismes, mon petit cousin, vous n’aurez rien à
redouter, n’étant connu ni des huguenots ni des catholiques. Et bien que
souterrainement agitée – comme tout le Languedoc – par les événements
que vous savez, la ville est calme. N’empêche, mon petit cousin,
soupira-t-elle, versant de nouveau quelques pleurs, vous allez affreusement me
manquer ! Vous eussiez dû penser à moi avant de tirer ce méchant coup
d’arquebuse !
    — Madame, Cabassus pâtissait à
rendre fols ceux qui l’ouïssaient. Même le populaire ne pouvait plus souffrir
ses hurlades.
    — Mais c’était un athée !
    — Ha Madame ! Un athée
pâtit autant qu’un autre ! Plus peut-être, pour ce qu’il n’attend pas de
consolation dans l’au-delà.
    Cette idée parut si nouvelle à M me de Joyeuse que tout étonnée, elle s’accoisa. Puis me serrant dans ses bras, et
passant de pensée en pensée par

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