En Nos Vertes Années
la
porte.
— Allez, Monsieur, me dit tout
soudain dans mon dos M me de Joyeuse, la voix aigre et sifflante,
courez à Saint-Firmin demander des consolations à cette ribaude vivant en
vilité publique dont vous avez fait vos délices ! Voilà de belles amours
et dignes en tous points d’un athée et d’un scélérat ! Vous étiez trop
haut ici ! Vous serez mieux à l’Aiguillerie à vous ébattre sur ce
fumier !
Je fus fort navré de ces paroles
cruelles et, me retournant comme si aspic m’avait piqué, je redressai haut la
crête, et envisageant œil à œil M me de Joyeuse et la mine sévère,
mais toutefois avec quelque respect, je lui dis :
— Madame, je ne suis ni un
athée ni un scélérat. Quant à mes délices et à mes belles amours, je les
trouvais céans tant qu’on y eut de la bonté pour moi. Madame, je suis votre
valet.
Et la saluant profondément, mais me
redressant tant haut que je m’étais incliné, je gagnai la porte, et sans
attendre mon habituelle escorte, je me dirigeai à grands pas vers
l’antichambre. Cependant mon courroux et mon chagrin m’aveuglant, je m’égarai
dans les couloirs et je fus bien aise d’entendre sonner derrière moi les hauts
talons de M lle de Mérol.
— Ha, Monsieur de Siorac,
cria-t-elle tout hors de souffle et le parpal houleux, où vous en
sauvez-vous ? Ce n’est point là votre chemin ! En outre, ma maîtresse
requiert derechef votre présence !
— Quoi ! dis-je, pour me
tourmenter à nouveau !
— Ha Monsieur ! dit Aglaé
en me posant la main sur le bras, je connais bien ma maîtresse : le verbe
est vif. Le cœur est bon. On lui aura fait sur vous quelque méchant conte. En
outre, depuis ce triste coup d’arquebuse, vous êtes fort exécré en cette ville,
et même Cossolat ne vous défend plus !
— Eh bien, dis-je, je quitterai
votre belle ville puisque je suis de tous à ce point mal aimé !
— Mais l’êtes-vous ?
dit-elle en arquant le sourcil. En êtes-vous bien sûr ? Moi-même que votre
orgueil amuse, et qui vous tiens pour le cadet le plus gueux et le plus fier de
Périgord, je tolère assez volontiers votre présence.
— Quoi ! dis-je, vous la
tolérez ? On ne l’eût pas dit à votre accueil !
— Il m’était dicté, dit-elle
avec un sourire.
— Et votre sourire de présent
l’est-il aussi ? Et vos fossettes ? Est-ce là le filet que vous jetez
sur moi pour me ramener tout pantelant sous le couteau de Madame de
Joyeuse ?
— Ha Monsieur, pour vous
ramener, j’irai plus loin s’il le faut !
Et approchant alors sa face de la
mienne, elle me baisa les lèvres. Après quoi, comme elle souriait, je lui mis
quelques petits poutounes sur ses délicieuses fossettes, ce qu’elle souffrit.
— Madame, dis-je, je vous suis.
Il faut que votre maîtresse soit fort bonne pour que vous lui soyez à ce point
dévouée.
Cependant, ce badinage et ces
mignonneries m’avaient fort radouci – comme bien y comptait la petite
rouée qui, pour être vierge et demoiselle, n’ignorait rien des mille guises par
où drolette mène drole par le bout de son nez.
Je trouvai M me de Joyeuse
comme je l’avais quittée, assise en son fauteuil, mais la fraise ôtée et la
robe dégrafée, fort rouge de son teint, haletante, pulvérisée de parfums, et
dans une humeur que bien je connaissais et qui tout à fait me rassura.
— Ha Monsieur ! dit-elle,
j’ai cru mourir d’être par vous à ce point maltraitée ! Avez-vous toute
honte bue et toute vergogne gloutie pour faire avec une personne de mon rang le
soudard et le tyranniseur ! Que cela est donc déshonnête ! Vous ai-je
si mal dégrossi de votre crasse rustique et périgordine que vous le preniez si
grossièrement avec moi ! Tout orgueilleux que vous soyez, haut à la main
et plus outrecuidé que Grand d’Espagne, je ne peux souffrir le ton et les
regards dont vous avez usé ! Monsieur, suis-je ou ne suis-je pas la
Vicomtesse de Joyeuse ?
— Vous l’êtes, Madame, dis-je
la face grave, mais souriant en mon for. Comment en douter à vous ouïr ?
— Alors, Monsieur, mettez-vous
à mon genou et demandez-moi très humblement pardon des insultes dont vous avez
osé m’accabler.
Je ne me mis pas à ses genoux, je
m’y jetai, je les pris entre mes mains, je les baisai.
— Monsieur, dit-elle, êtes-vous
fol ? Que faites-vous ?
— Madame, dis-je sans battre un
cil, je vous demande humblement pardon de ce que vous m’avez appelé
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