En Nos Vertes Années
une pente insensible, elle finit par donner à
son corps un gentil branle, et me piquant dans le cou de quelques petits
poutounes, elle me chuchota à l’oreille :
— Est-il constant, mon petit
cousin, que vous êtes de cœur et de corps mon esclave ?
— Ne l’ai-je pas dit ?
— Mon Pierre, ne
m’entendez-vous pas ? Faut-il jaser plus clair ? Ha mon mignon, mon
mignon, ne me faites pas languir plus outre ! Faites-moi cela que je
veux !
Par Hippocrate, je l’eusse juré,
connaissant sa complexion : ses larmes n’allaient pas tarir son appétence.
Et quant à sa phrase coutumière « Mon mignon, faites-moi cela que je
veux », ce jour d’hui encore elle résonne à mon oreille en sa douce,
pressante et chantante intonation, et après tant d’années, chaque fois que je
l’ois dans ma remembrance, elle ne laisse pas que de m’atendrézir.
Tudieu ! S’il y avait esclavage en cette mignonnerie, de quel cœur
consentant je m’y soumettais, tant j’aimais la bonté de cette haute dame, et
tant j’avais friandise de son suave corps.
Arraché à ces délices – après
quelles larmes confondues, quelles protestations infinies et quels serrements
de cœur – je me jetai dans son carrosse et avant de rentrer au logis, je
me fis conduire à l’église Saint-Firmin, mais ne voulant pas que cet équipage,
qui portait les armes du Vicomte, fût vu devant l’Aiguillerie, je le fis
arrêter de l’autre côté de l’église, laquelle je traversai par le fond de la
nef, marchant à pas de velours pour gagner la porte latérale. Las ! je
tombai en plein salut, et combien que les papistes qui étaient là fissent mine
d’être fort confits en leurs dévotions, d’aucuns de ces chattemites qui avaient
des yeux derrière le dos ne manquèrent pas de m’apercevoir, de me reconnaître
et, chuchotant entre eux, de me lancer à la dérobée des regards qui m’eussent
occis, s’ils en avaient eu le pouvoir.
Je ne pus faire à la Thomassine les
adieux que j’eusse voulus. Cossolat était là, attablé, le gobelet en main, et
sourcilla fort à ma vue.
— Départez-vous ? dit-il
d’un ton abrupt.
— Demain, à l’aube, avec Samson
et Miroul.
— Vous faites bien, dit-il
l’œil sec et la voix brève. Mettez un masque, et armez-vous en guerre, avec
corselet et morion. Vous trouverez chez vous trois laissez-passer et une lettre
de moi pour le Capitaine Bouillargues à Nismes. Ce capitaine est des nôtres si,
du moins, Monsieur, je peux encore vous dire des nôtres, après que vous avez si
fort embufé M. de Gasc.
— Je ne l’ai pas embufé, dis-je
roidement. Je n’ai point voulu qu’il me confessât.
— De toutes guises, dit
Cossolat en regardant le fond de son gobelet, après votre dernier exploit, M.
de Gasc ne vous aime guère. Et pour ce qui est de moi, je ne vous aime pas
davantage.
— J’en suis bien marri,
Monsieur, dis-je et lui faisant un petit salut, je tournai les talons et
quittai la place, assez navré de ces dures paroles, Cossolat m’ayant toujours
montré, à sa manière abrupte et militaire, une sorte d’amitié.
Comme bien j’y comptais, la
Thomassine me rejoignit dans l’antichambre et, se jetant dans mes bras, me
serra contre ses beaux tétins et me dit dans un chuchotement :
— Moi, je t’aime, mon Pierre,
quoi que tu aies fait et je serai toujours ton amie.
Mais j’eus à peine le temps de lui
rendre ses baisers. Cossolat l’appelait, non sans rudesse. Ha ! pensai-je
en contournant l’église Saint-Firmin (car je ne voulus point la traverser de
nouveau sous l’œil de ces chattemites), Cossolat parle ici en maître. En maître
aussi à l’auberge des Trois-Rois. Et Dieu sait en combien d’autres
lieux ! Et cependant, lui, à n’en pas douter, il a l’oreille de M. de
Gasc, il est « des nôtres » – preuve qu’on ne craint pas que
« le diable fasse de lui sa proie », quel que soit « son
déportement quotidien ». Et qui sait même si on ne lui passerait pas une
partie de tric-trac : il rend tant de services !
Roulant en moi ces aigres pensées,
et fort peu satisfait et des hommes et du monde, je me jetai dans le carrosse
et balançai si je devais prendre congé de mon père Saporta. Mais bien je savais
que selon sa sacro-sainte règle, je devrais, pour le voir, lui adresser une
demande écrite à laquelle il ferait, huit jours plus tard, une réponse écrite. Quant à l’aller visiter à l’improviste – en
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