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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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œil me chercha, me trouva et
ne me lâcha plus.
    La Vignogoule, dès que la Fontanette
fut assise sur elle, referma ses deux bras sur la poitrine de la pauvrette, de
façon à la maintenir serrée, enfouie et comme enlisée dans sa monstrueuse
charnure. Le bourreau, tirant à lui avec un geste d’une lenteur infinie le nœud
coulant, le passa autour du chef de Fontanette, et je crus d’abord qu’il allait
trahir sa promesse. Mais se penchant, il lui serra le col d’une seule main en
appliquant son pouce sur sa gorge. Sans qu’elle pût pousser un cri ni même un
soupir, sa tête retomba inerte, comme celle d’un pigeon qu’on étouffe.
Vignogoule cessa de souffler. C’était fini. Cependant, je voulus rester jusqu’à
ce qu’il la hissât, voulant être assuré qu’il ne l’avait pas étranglée à demi,
comme il avait fait pour Cabassus.
    — Allons, Pierre, dit Cossolat
en me touchant le bras derechef. Ne restez pas un siècle céans ! Elle ne
bouge ni ne branle. Observez. Point de convulsion, ni de pied qui danse dans
l’air. Elle est morte, vous voyez bien.
    — Morte ? dis-je, comme
étonné.
    Je ne pus parler plus outre, hébété
que j’étais encore, le regard fixé sur la blanche face de Fontanette, ses yeux
grands ouverts, son col tordu. Dieu ! Était-ce là cette mignote, si vive
et si tendre, que j’avais sous la lune tenue dans mes bras, sentant battre
contre moi la houle de son jeune sang ! Pendue, la pauvrette, en la fleur
de son âge, pour être ensuite hachée et démembrée, et ses membres que j’avais
tant de fois baisés, exposés sur ces oliviers stériles qui porteraient ces
tristes fruits de mort jusqu’au final pourrissement !
    — Pierre, dit Cossolat, ne
restez point là à vous ronger le cœur. Venez ! Venez ! Je vais vous
remettre en chemin !
    Et appliquant une claque sur la
croupe de mon Accla, il la fit bondir en avant et nous partîmes tous deux à
brides avalées, suivis de Samson et de Mirou. Nous fîmes en galopant deux
bonnes lieues pour le moins et, plus tard, je compris que Cossolat me voulait à
force forcée éloigner au plus vite du gibet, tant il craignait que, sortant de
la transe où je me trouvais plongé, je ne tuasse Vignogoule et sa femme, ce que
j’eusse fait peut-être, tant j’étais hors de moi.
    À peine vis-je que Cossolat nous
quittait, et peu distinguai-je le chemin, tandis que je chevauchais comme fol,
droit devant moi, sans ménager mon Accla. Mon chef était tant gourd que si on
m’avait bastonné, et je n’avais quasiment plus l’usage de mes yeux, lesquels
étaient restés glués à ce gibet odieux dont j’emportais l’image avec moi à
travers pechs et combes. Je me sentais, pour ainsi parler, comme mort à
moi-même, n’ayant plus dans mon cœur glacé que le sentiment d’une faute immense
et d’une désolation infinie.
    À midi, le soleil étant fort chaud
et la sueur ruisselant à flots sous les corselets dont nous étions revêtus, Miroul,
se portant au botte à botte avec moi, osa me dire que les chevaux étaient
fourbus et qu’il fallait s’arrêter. Je l’entendis enfin et, envisageant à
l’orée d’un bois, sur notre dextre, un petit pré assez bien fourni en herbe, je
dis d’une voix éteinte que ce serait là notre étape. Et démontant, je défis mon
corselet, ôtai mon morion, et laissant mon Accla à Miroul, je fis en trébuchant
quelques pas à l’écart et me laissant tomber à plat ventre au sol, tant me
poignaient tout ensemble la fatigue et le pâtiment, j’enfonçai mes deux mains
dans la terre et, enfouissant ma tête et ma bouche dans l’herbe chaude comme
dans le tétin d’une mère, je me pris à pleurer à sanglots si convulsifs et si
longs qu’il me semblait qu’ils ne finiraient plus.
     
     
    Notre petite troupe atteignit Nismes
le 30 septembre, sur le coup d’onze heures, par une porte cintrée surmontée
d’une tour, mais dont le chemin de ronde paraissait étrangement garni en
défenseurs, y ayant là une vingtaine d’hommes qui, pour ne pas montrer la mine
de soldats (ayant beaucoup plus l’air d’ouvriers mécaniques), n’en portaient
pas moins un assortiment fort varié et surprenant d’armes de toutes sortes,
dont d’aucunes assez anciennes, sans compter des boucliers, des corselets, des
cottes de mailles, et même des cuirasses. Ces quidams paraissaient fort
échauffés et se paonnaient de long en large en se tirant sur la moustache avec
des airs fendants, et dès

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