En Nos Vertes Années
est pourtant que vous portez autour du col une médaille d’or de Marie. Le
niez-vous ?
— Non.
— C’est donc que vous êtes
idolâtre.
Après quoi, tous me regardèrent avec
autant d’horreur que s’ils m’avaient surpris à genoux en train d’adorer le veau
d’or. Ha ! pensai-je, tandis que la sueur me coulait le long des
omoplates, car cette fois je me jugeai perdu. Tout est violence et terreur dès
qu’on touche à la religion ! L’idolâtre est fanatique. Mais la
contre-idolâtrie aussi. Montluc a décapité un homme pour avoir brisé une croix.
Et ceux-là vont m’égorger pour avoir porté une médaille.
— Compagnons, dis-je, cette
image de Marie me vient de ma mère, laquelle était papiste et me l’a léguée en
mourant, avec le commandement de ne m’en séparer mie. C’est par idolâtrie de ma
mère défunte que je l’ai autour du col. Et non par idolâtrie de Marie. Car à la
vérité, je prie Dieu comme vous, sans intercession aucune de Marie ni des
saints.
— Oui-da, dit Jean Vigier, vous
jouez bien du plat de la langue ! Et c’est belle jaserie que vous
faites ! Mais est-ce bien la vraie ? Qui le dira ? ajouta-t-il
avec un rot à déboucher une cheminée.
— Le moussu n’est point de
Nismes, dit le grand maigre d’une voix quelque peu confuse, le vin lui portant
fort à la tête. Oyez bien ceci : il vient de Montpellier. Et comme chacun
sait, a beau mentir qui vient de loin.
— Mais je ne mens point !
criai-je, désespéré. Que je suis bon, sincère et loyal huguenot, tout cela est
inscrit noir sur blanc dans la lettre de M. de Chambrun au Capitaine
Bouillargues ! M’allez-vous égorger parce que vous ne savez pas
lire ? Et en premier lieu, pourquoi ne savez-vous point vos lettres ?
J’ai ouï dire que les ouvriers mécaniques et les laboureurs qui se joignent à
notre religion réformée apprennent incontinent leurs lettres pour lire la
Sainte Bible.
À ce reproche, ils baissèrent la
tête dans leurs gobelets, fort vergognés, me sembla-t-il. Et un petit homme
rondelet, qui n’avait point un cheveu sur la tête, me dit d’une voix tremblante
et la larme au bord des cils, et pas seulement, je cuide, en raison du vin
qu’il avait bu :
— Moussu, nous sommes convertis
de fraîche date à la vraie religion, et combien qu’on nous ait dit qu’il
faudrait apprendre à lire pour lire les textes sacrés, cependant, labourant
quinze heures le jour à mon métier de tisserand, et ayant cinq bouches à
nourrir avec le peu que je gagne, j’ai peu le courage, le soir, de labourer
avec ma tête, encore que je m’y essaye. Mais je fais peu de progrès.
— J’entends bien, dis-je, que
personne céans ne sait lire. Dès lors, envoyez quérir M. de Chambrun. Il vous
dira ce qu’il en est de ma religion.
— Ma foi, c’est une idée, dit
le petit rondelet.
Mais se levant, il retomba
incontinent sur son escabelle, n’ayant plus l’usage de ses jambes.
— Ha bah ! dit Jean
Vigier, le nez dans son gobelet. Il y a traîtrise. Je n’en démordrai point. Le
moussu porte une idole autour du cou.
Et derechef, il rota.
— Ce vin n’est des pires, dit
le grand maigre à peau jaunâtre. Cependant, je n’oublie point mon commandement,
tout content que je sois de me remplir, car il faisait chaud. Moussu, espérez
un peu. Un moment, et nous vous dépêchons.
— Quoi ? dit le petit
rondelet. Sans quérir M. de Chambrun ?
Mais tentant à nouveau de se lever,
il retomba assis.
— Ha, va ! dit un grand
brun assis à son côté. Qu’importe que M. de Chambrun opine ou non, ou que le
moussu soit papiste ou huguenot. Tuons-le. Le Seigneur, là-haut, décidera.
Miroul, je m’en vais chanter une chanson de mon état de tisserand, pour ce que
je suis tisserand, comme ce petit rondelet que voilà. Me pourras-tu
accompagner ?
— Voire ! dit Miroul. Me
dépêcheras-tu comme mon maître ?
— Oui-da !
— Avec ou sans idole ? dit
Miroul, son œil marron s’égayant, tandis que son œil bleu restait froid.
— Avec ou sans.
— Alors, je suis ton homme.
Chante, tisserand.
Et Miroul m’envisageant d’une
certaine guise, je vins me placer à son côté, à savoir près de la porte de la
salle, et assez rassuré d’observer que j’avais encore à ma ceinture épée et
dague et Miroul aussi, nos exécuteurs n’ayant pas pensé à nous désarmer, ayant
trop fiance, peut-être, en leur nombre. Et certes, si l’on venait à
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