Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
Il en aime une. Le
reste ne compte point.
    — Est-elle si belle ? dit
Angelina, m’envisageant cette fois avec un soupçon de coquetterie.
    — Elle l’est, mais point autant
que d’aucunes que je pourrais dire.
    Quoi oyant, Angelina baissa son bel
œil et, se levant (mon conte, ce jour-là, étant fini), elle me souhaita le bon
soir, et avec son accoutumée langueur et marchant de son pas si nonchalant,
elle sortit de ma chambre, sans que je pusse me plaindre de sa lenteur, ayant
du temps davantage pour la regarder s’éloigner.
    Mon Samson n’était point tout à
plein désoccupé : il s’essayait à écrire à Dame Gertrude du Luc et, suant
sang et eau à coudre quelques phrases à la suite l’une de l’autre, me les
apportait le matin pour que je les corrigeasse, fort marri que je lui eusse
refusé tout à plat d’écrire ses lettres pour lui. À quoi, sans lui dire la
raison, je m’obstinais depuis le département de sa belle, étant fort dépit de
l’intrigue de la traîtresse avec Cossolat, et d’autant que j’avais dû moi-même,
pour résister à ses caresses, cuirasser ma vertu : effort où j’avais
trouvé de l’incommodité.
    Combien j’en trouvai davantage à
Barbentane, où les chambrières que j’ai dites, rebutées de mon frère, se
fussent volontiers revanchées sur moi ! Mais encore qu’avec mes forces
renaissantes, un grand appétit du vif m’était revenu, je me remparai de mon
mieux et je repoussai leurs assauts. Car il faut le dire enfin : dans le
silence de mes nuits et les rêves de mes jours, je m’étais tout entier baillé à
Angelina, m’étant persuadé que je ne trouverais mie dans le vaste monde, et si
bien et si longtemps que je cherchasse, une femme qui allierait autant de cœur
à autant de beauté. Je ne lui pipai pas mot de ce feu-là, ne sachant si son
sentiment répondrait au mien, lequel était si fort que déjà je ne pouvais
penser à la quitter sans affreusement pâtir. Mais si peu assuré que je fusse de
l’avoir un jour, je ne voulais rien faire du moins qui eût pu risquer de la
perdre. Ha, certes, pour ce qui était de moi, j’eusse pu, sans offenser ma
tendresse, apaiser ma faim, en dînant, comme avait dit le Vicomte de Joyeuse,
« d’un croûton de pain au revers d’un talus ». Mais Angelina, je
gage, ne l’eût pas si bien pris. Combien qu’elle fût de deux ans mon aînée, je
la cuidai trop naïve pour distinguer entre l’amour et la tyrannie de nos sens,
n’étant point, comme moi, accoutumée à leur céder.
    Je reçus deux lettres de M me de Joyeuse. L’une, vingt jours après mon navrement, me requérait de revenir à
Montpellier, le rapport de l’Évêque de Nismes au Vicomte ayant fort retourné
l’opinion en ma faveur.
    L’autre, quinze jours plus tard,
chantait une tout autre chanson.
     
    Mon petit cousin,
     
    Ha, pauvre roi ! Pauvre
royaume ! Quelle affreuse chose que cette male fortune que nous venons
d’essuyer ! J’en mourrai, je gage, ou j’y perdrai le peu de beauté qui me
reste ! Ces méchants gueux de huguenots (du parti de qui vous êtes, hélas,
mon gentil mignon) ont saisi Montpellier, et de force forcée, le vicomte, avec
une poignée d’hommes, s’est réfugié dans la forteresse de Saint-Pierre, y
amenant sa femme, ses enfants et sa vaisselle d’argent. Mais ces furieux se
préparant à nous assiéger, le vicomte s’est ensauvé la nuit par une porte
secrète. Et une fois dehors, retrouvant quelques troupes qu’il avait çà et là,
il a pris langue avec les rebelles pour que nous puissions sortir, moi, ses
enfants et sa vaisselle. Notre bon Cossolat s’entremettant, qui est un peu des
deux camps, étant huguenot mais loyal à son roi, l’entreprise a réussi, du
moins pour ce qui est de moi et des enfants. Car ces messieurs ont retenu la
vaisselle et, Saint-Pierre pris, l’ont fort dévotement pillée, les petites
fourches comprises. Mon cousin, est-ce là votre Calvin ?
    Le vicomte enrage de cette perte, et
à Pézenas, où nous sommes réfugiés, il laisse éclater sa bile contre ces
scélérats. Tant est que pour l’adoucir et le rendre plus ployable à mes
desseins, je lui ai promis ma vaisselle de vermeil.
    Rien n’y a fait ! Et au premier
mot que j’ai dit sur votre venue céans, le vicomte a levé les bras au
ciel : « Madame ! On a beaucoup jasé ! Voulez-vous qu’on
jase plus outre ? À Montpellier, passe encore ! Votre Pierre y
étudiait la médecine. Mais de

Weitere Kostenlose Bücher