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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ces récits doivent vous amuser, à les
répéter dans vos après-midi.
    — Le feriez-vous ?
dit-elle avec une vivacité de joie où la fillette qu’elle avait été reparut
tout soudain.
    — Certes !
    — Et n’en serez-vous point
fatigué ?
    — Point du tout !
    — Ha, Monsieur de Siorac, que
vous êtes aimable !
    Elle n’en dit pas davantage, étant
quelque peu malhabile à trouver ses mots, et portant dans ses entretiens la
même langueur distraite que dans les mouvements de son corps. Cependant, quand
elle eut toute fiance en moi, ce qui ne devait tarder, elle jasa beaucoup.
    Pour ce que mes récits demandaient
plus de temps que les brèves visites qu’Angelina était accoutumée à me faire,
il fallut, afin que celles-ci s’allongeassent à la mesure de mes contes,
requérir la permission de M me de Montcalm, laquelle la bailla, la
reprit, la redonna, exigea d’être présente, se lassa de m’écouter, revint,
repartit, et en fin de compte, nous laissa seuls aussi longtemps que nous
voulûmes.
    Pour M. de Montcalm, je dévidais des
récits graves, cérémonieux, quand il le fallait repentants, et ménageant
beaucoup son papisme où le bât l’eût vite navré. Mais à Angelina, dès que M me de Montcalm eut jeté manche après cognée, je fis des contes plus vifs, encore
qu’ ad usum delphinae [89] mes amantes y devenant des amies, dont je parlais avec une innocence dont celle
qui m’ouïssait me donnait le modèle. Mais pouvant alors me lever, et sauf de
mon bras senestre, gesticuler, je mimai mes aventures, marchant de-ci, de-là,
comme sur un théâtre, et changeant de ton et de voix avec mes personnages.
Angelina me buvait de l’œil et de l’ouïe, et tout entière dans l’histoire que
je contais, s’affligeait, ou s’ébaudissait, et contremimant ma mine, vivait ma
propre vie, et me devint si proche qu’à la fin elle pâlit et à demi pâma quand
le défouillement des morts me mit à deux doigts de l’échafaud.
    — Ha, Pierre ! me
dit-elle. Que de traverses ! Que d’inouïs périls ! Que je tremble
pour vous ! Et ce disant, ses beaux yeux se remplissaient d’une compassion
si suave que tout occupé et caressé de leur maternel souci, je ne trouvais plus
mes mots.
    Ceux-ci, pourtant, même quand nous
étions la nuit et le matin séparés, ne laissaient pas de l’agiter encore, car
en nos après-midi, qui chaque jour s’allongeaient davantage, elle me posait dès
l’abord une foule de questions, qui eussent été indiscrètes si celle qui les
posait n’avait été si naïve.
    — Mais Pierre, disait-elle,
d’où vient que vous visitiez M me de Joyeuse si souvent ? Et
quel attrait pouvait avoir pour vous l’entretien d’une dame tant vieille que
son âge avait passé trente ans ?
    — Elle m’instruisait, dis-je,
sans battre un cil.
    Ce qui, d’ailleurs, était vrai, mais
pas dans le sens que je lui donnai à entendre.
    Samson n’eût peut-être pas été sans
prendre quelque ombrage de mon étroit commerce avec Angelina, si M. de
Montcalm, s’entichant fort de lui, ne l’avait chaque jour, le midi passé,
traîné à la chasse. Non que Samson eût tant de goût pour la meurtrerie que les
hommes sont habitués à faire en plat pays du poil et de la plume, mais il eût
craint de déplaire à son hôte en tordant le nez sur cet amusement. Du reste, il
s’ennuyait à périr à Barbentane, étant éloigné de Maître Sanche, et plus encore
de l’apothicairerie, dont il s’était tant affectionné, ce qui ne laissait pas
de m’étonner, ne pouvant concevoir qu’on pût nourrir tant d’amour pour des
choses tant inertes. Et certes, si j’avais été que de lui, je n’eusse pas
manqué de répondre aux œillades des chambrières du château, dont d’aucunes
étaient accortes, paraissaient ployables en leur complexion et n’avaient d’yeux
que pour son ensorcelante beauté. Mais autant donner le bon œil à une belle
image dans un livre ! Les pauvrettes eussent pu être transparentes :
mon Samson ne les voyait pas. Pas plus qu’il ne voyait Angelina, ce dont mon
amie se piqua quelque peu d’abord, étant accoutumée à recevoir des hommes plus
d’attention.
    — Mais Pierre, me dit-elle un
jour, d’où vient cette immense froidure de Samson à l’égard du beau sexe ?
Je serais balai ou sorcière qu’il ne m’envisagerait pas d’un œil plus
sec ! Est-il de ces infortunés dont on dit qu’ils n’aiment point les
femmes ?
    — Nenni.

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