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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sied d’appliquer à
l’ulcère du sublimé et du vif-argent, et faire prendre aussi pilules d’aloès
pour ce que l’aloès guérit le mal en le desséchant.
    — Faut-il user des
onguents ?
    — Oui, vénéré maître. Car
ainsi, le mal s’évacue par les pores du cuir, j’entends de notre humaine peau.
Aussi faut-il faire lesdits onguents relaxants, raréfiants et attractifs.
    — Comment se feront ces
onguents ?
    — À base de graisse de pourceau
et de vif-argent.
    — Cependant, dit Fogacer,
Maître Sanche en sa préparation remplace la graisse de pourceau par la graisse
de poule.
    — Elle n’est pas moins bonne ni
appropriée, dit Rondelet avec un sourire, et assurément plus agréable à notre
illustre apothicaire. Poursuivons. S’il se fait grande douleur de tête par le
mal italien, quel remède y faut-il ?
    — Donner à boire de l’eau de
thériaque.
    — Que fait-on si les ulcères
sont grands et putrides ?
    — Il sied d’user du sublimé,
pour ce qu’il fait grande corrosion de tout ce qui est pourri.
    — Quelle curation faut-il
donner aux malades qui ne peuvent demeurer en maison, mais sont contraints par
leurs affaires d’aller à cheval ?
    — Leur bailler les pilules
mercuriales dites de Barberousse.
    — C’est merveille ! dit
Rondelet en écartant ses bras courts du tonneau de son corps. Tout est su, et
bien su, et en si peu de jours ! Monsieur le Bachelier Fogacer, pour peu
qu’à la Saint-Luc M. de Siorac vous ait satisfait quant à sa connaissance de la
logique et de la philosophie, il vous faudra l’inscrire à notre collège royal. Dignus est intrare [53] .
    — Ha ! Monsieur le
Chancelier ! m’écriai-je en rougissant jusqu’aux cheveux en ma félicité,
que de mercis je vous dois !
    — Vous ne m’en devez aucun.
Votre mérite seul a parlé. Monsieur notre Écolier, poursuivit-il, me donnant
pour la première fois ce titre qui me fit bondir le cœur, avez-vous pensé à
faire le choix d’un père, parmi les quatre professeurs royaux ?
    — Mais, Monsieur le Chancelier,
dis-je, oubliant dans le chaud du moment les avis de Fogacer, ne peux-je vous
demander d’être celui-là pour la durée de mes études ?
    — Vous ne le devez, Siorac, dit
Rondelet, la face tout soudain fort triste et m’envisageant avec gravité. Je
suis vieux et mal allant, le ventre fort délabré, travaillé par intermittence
de fièvre lente, perdant mes forces et quasiment au bout du fil que me tissent
les Parques.
    — Et cependant, s’écria Fogacer
non sans marquer quelque courroux, vous départez demain pour Bordeaux !
Monsieur notre maître, c’est folie ! Je vous l’ai dit cent fois !
    — Allons, ne grondez pas,
Fogacer, dit Rondelet. Mes beaux-frères ont grandement besoin de moi.
    — Et de vous-même, n’avez-vous
pas grand besoin ?
    — Ha, Fogacer ! Mourir là
ou ailleurs… Si j’étais le maître de ma destinée, je ne lèverais pas le petit
doigt pour prolonger ma vie d’une année. J’ai abominablement pâti en ma vie
particulière, navré de plus de deuils que face de pendu n’est de coups de bec
criblée. La mort m’a ravi trop des miens, me démembrant tout vif de mes tant
beaux enfants. Et je ne rêve plus ce jour d’hui que de les retrouver au ciel,
pour autant que le Seigneur, en sa pitié, m’y admette. Sur cette terre, j’ai
vécu assez.
    Fogacer, là-dessus, se tut, ayant,
je gage, comme moi, le nœud de la gorge serré à ouïr ces mélancoliques paroles.
Mais Rondelet, observant notre trouble, incontinent nous sourit, et redonnant
lustre et gaieté à son œil, il me dit :
    — Siorac, prenez pour père le Docteur
Saporta. Saporta n’est point facile en ses humeurs à supporter (il rit à cette
petite gausserie), mais c’est un bon médecin, exact et attentif en la décharge
de ses devoirs.
    — Monsieur le Chancelier,
dis-je, je ferai comme vous avez dit.
    Sur quoi, étant quelque peu fatigué
peut-être de cet entretien qu’au milieu des soucis de son département pour
Bordeaux il avait exigé de lui-même, Rondelet se leva non sans effort et nous
permit de nous retirer, après nous avoir tour à tour, et non sans tendresse, accolés.
    — Siorac, dit-il, les deux
mains sur mes épaules, oyez bien ceci : la pratique de la médecine ne doit
point faire oublier l’étude. Toute votre vie, étudiez. Gravez ce mot : « étudier », dans votre cervelle avec un stylet d’or ! C’est
au prix d’un perpétuel

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