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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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amputé se détraque donc…
    - Soit, mais l'autre alternative reste, que fais-tu de sa bonté ?
    - Sa bonté… Et Durtal avait beau se ressasser les arguments tirés du libre-arbitre ou de la venue promise du sauveur, il était bien forcé de s'avouer que ses réponses étaient débiles.
    Et la voix se fit plus pressante :
    - Tu admets aussi le péché originel ?
    - Je suis bien obligé de l'admettre, puisqu'il existe. Qu'est-ce que l'hérédité, l'atavisme, sinon, sous un autre vocable, le terrible péché des origines ?
    - Et cela te paraît juste que des générations innocentes réparent encore et toujours la faute du premier homme ?
    Et comme Durtal ne répliquait pas, la voix insinua doucement :
    - Cette loi est tellement inique qu'il semble que le créateur en ait eu honte et que, pour se punir de sa férocité et ne pas se faire à jamais exécrer par sa créature, il ait voulu souffrir sur la croix, expier son crime, en la personne de son propre Fils !
    - Mais, s'écria Durtal exaspéré, Dieu n'a pu commettre un crime et se châtier ; si cela était, Jésus serait le rédempteur de son père et non le nôtre ; c'est fou !
    Il retrouvait peu à peu son équilibre ; lentement, il récita le symbole des apôtres, tandis que les objections qui le démolissaient se pressaient, les unes à la suite des autres, en lui.
    Il y a un fait certain, se dit-il, car il était, dans cette bagarre, très lucide : c'est que nous sommes deux pour l'instant en moi. Je puis suivre mes raisonnements et j'entends, de l'autre côté, les sophismes que mon double me souffle. Jamais cette dualité ne m' était apparue aussi nette.
    Et l'attaque faiblit sur cette réflexion ; on eût cru que l'ennemi découvert battait en retraite.
    Mais, il n'en fut rien ; après une courte trève, l'assaut recommença sur un autre point.
    - Es-tu bien sûr de ne t'être pas suggestionné, de ne t'être pas monté le coup à toi-même ? A force d'avoir voulu croire, tu as fini par enfanter et par t'implanter, en la déguisant sous le nom de grâce, une idée fixe autour de laquelle maintenant tout festonne. Tu te plains de n'avoir pas éprouvé des joies sensibles après ta communion, cela démontre simplement que tu ne t'étais pas assez tendu, ou que, lassée de ses excès de la veille, ton imagination s'est révélée inapte à te jouer l'affolante féerie que tu te réclamais, après la messe.
    Au reste, tu devrais le savoir, tout dépend, dans ces questions-là, de l'activité plus ou moins fébrile de la cervelle et des sens ; vois ce qui a lieu pour les femmes ; elles se leurrent plus facilement que l'homme ; car là encore se décèle la différence des conformations, la variété des sexes ; le Christ se donne charnellement sous les apparences d'un pain ; c'est le mariage mystique, l'union divine consommée par la voie des lèvres ; il est bien l'époux des femmes, tandis que, nous autres, sans le vouloir, par l'aimant même de notre nature, nous sommes plus attirés par la Vierge. Mais elle ne se livre pas, ainsi que son fils, à nous ; elle ne réside pas dans le sacrement ; la possession est avec elle impossible ; elle est notre mère mais elle n'est pas notre Epouse, comme lui est l'Epoux des Vierges.
    On conçoit dès lors que les femmes s'emballent plus violemment et qu'elles adorent mieux et qu'elles se figurent plus aisément qu'elles sont choyées. D'ailleurs, M. Bruno te le disait hier : la femme est plus passive, moins rebelle à l'action céleste…
    - Eh ! Qu'est-ce que cela me fait ? Qu'est-ce que cela prouve ? Que plus on aime et mieux on est aimé ? Mais si cet axiome est faux, au point de vue terrestre, il est certainement exact au point de vue divin ; ce qui serait monstrueux, ce serait que le seigneur ne traitât pas mieux l'âme d'une clarisse que la mienne !
    Il y eut encore un temps de repos ; et l'attaque tourna et se rua sur un nouvel endroit.
    - Alors tu crois à l'éternel enfer ? Tu supposes un Dieu plus cruel que tu ne serais, un Dieu qui a créé les gens, sans qu'ils aient été consultés, sans qu'ils aient demandé à naître ; et, après avoir pâti pendant leur existence, ils seraient encore suppliciés sans merci, après leur mort ; mais, voyons, toi-même, tu verrais torturer ton plus fervent ennemi, que tu serais pris de pitié, que tu solliciterais sa grâce. Tu pardonnerais et le le tout-puissant serait implacable ? tu m'avoueras que c'est se faire de lui une

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