Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
Vom Netzwerk:
à la fois analogue et contraire à ceux que le curare produit sur l'organisme, lorsqu'il circule dans les réseaux du sang ; les membres se paralysent ; l'on n'éprouve aucune douleur, mais le froid monte ; l'âme finit par être séquestrée toute vive dans un cadavre ; là, c'était le corps vivant qui détenait une âme morte.
    Harcelé par la peur, il se dégagea d'un suprême effort, voulut se visiter, voir où il en était ; et de même qu'un marin, qui, dans un navire où s'est déclarée une voie d'eau, descend à fond de cale, il dut rétrograder, car l'escalier était coupé, les marches s'ouvraient sur un abîme.
    Malgré la terreur qui le galopait, il se pencha, fasciné, sur ce trou et, à force de fixer le noir, il distingua des apparences ; dans un jour d'éclipse, dans un air raréfié, il apercevait au fond de soi le panorama de son âme, un crépuscule désert, aux horizons rapprochés de nuit ; et c'était, sous cette lumière louche, quelque chose comme une lande rasée, comme un marécage comblé de gravats et de cendres ; la place des péchés arrachés par le confesseur restait visible, mais, sauf une ivraie de vices sèche qui rampaient encore, rien ne poussait.
    Il se voyait épuisé ; il savait qu'il n'avait plus la force d'extirper ses dernières racines et il défaillait, à l'idée qu'il faudrait encore s'ensemencer de vertus, labourer ce sol aride, fumer cette terre morte. Il se sentait incapable de tout travail, et il avait en même temps la conviction que Dieu le rejetait, que Dieu ne l'aiderait plus. Cette certitude le ravina. Ce fut inexprimable ; - car rien ne peut rendre les anxiétés, les angoisses de cet état par lequel il faut avoir passé pour le comprendre. L'affolement d'un enfant qui ne s'est jamais éloigné des jupes de sa mère et que l'on abandonnerait sans crier gare, en pleine campagne, à la brune, pourrait seul en donner un semblant d'idée ; et encore, en raison même de son âge, l'enfant, après s'être désolé, finirait-il par se calmer, par se distraire de son chagrin, par ne plus percevoir le danger qui l'entoure, tandis que, dans ces états, c'est le désespoir tenace et absolu, la pensée immuable du délaissement, la transe opiniâtre, que rien ne diminue, que rien n'apaise.
    L'on n'ose plus, ni avancer, ni reculer ; on voudrait se terrer, attendre, en baissant la tête, la fin d'on ne sait quoi, être assuré que des menaces que l'on ignore et que l'on devine sont écartées. Durtal en était à ce point ; il ne pouvait revenir sur ses pas, car cette voie, qu'il avait quittée, lui faisait horreur. Il eût mieux aimé crever que de retourner à Paris pour y recommencer ses instances charnelles, pour y revivre ses heures de libertinage et d'ennuis ; mais s'il ne pouvait plus rebrousser chemin, il ne pouvait davantage marcher de l'avant, car la route aboutissait à un cul-de-sac. Si la terre le repoussait, le ciel se fermait en même temps, pour lui.
    Il gisait, à mi-côte, dans la cécité, dans l'ombre, il ne savait où.
    Et cet état s'aggravait d'une incompréhension absolue des causes qui l'amenaient, s'exagérait au souvenir des grâces autrefois reçues.
    Durtal se rappelait la douceur des prémisses, la caresse des touches divines, cette marche continue et sans obstacles, cette rencontre d'un prêtre isolé, cet envoi à la Trappe, cette facilité même à se plier à la vie monastique, cette absolution aux effets vraiment sensibles, cette réponse rapide, nette, qu'il pouvait communier sans crainte.
    Et, subitement, sans qu'il eût en somme, failli, celui qui l'avait jusqu'alors tenu par la main, refusait de le guider, le congédiait, sans dire mot, dans les ténèbres.
    Tout est fini, pensa-t-il ; je suis condamné à flotter, ici-bas, tel qu'une épave dont personne ne veut ; aucune berge ne m'est désormais accessible, car si le monde me répugne, je dégoûte Dieu. Ah ! Seigneur, souvenez-vous de l'enclos de Gethsemani, de la tragique défection du père que vous imploriez dans d'indicibles affres ! Souvenez-vous qu'alors un ange vous consola et ayez pitié de moi, parlez, ne vous en allez pas ! - Dans le silence où s'éteignit son cri, il s'accabla ; et, cependant, il voulut réagir contre cette désolation, tenter d'échapper au désespoir : il pria, et il eut de nouveau cette sensation très précise que ses obsécrations ne portaient point, n'étaient même pas entendues. Il appela l'intendante des allégeances, la

Weitere Kostenlose Bücher