En Route
bouche.
Il regardait, malgré lui, ne pouvant se soustraire aux avanies imposées de ces viols, mais le corps était inerte, demeurait calme et l'âme se révoltait en gémissant ; la tentation était donc nulle ; mais si ces manigances ne parvenaient à lui suggérer que du dégoût et de l'horreur, elles le faisaient incomparablement pâtir, en s'attardant ; toute la lie de son existence dévergondée remontait à sa surface ; ces rappels de ruts avariés le crucifiaient. Jointe à la somme des douleurs accumulées depuis l'aube, la surcharge de ces souvenirs l'écrasa et une sueur froide l'inonda, de la tête aux pieds.
Il agonisa et soudain, comme s'il venait surveiller ses aides, vérifier si ses ordres s'exécutaient, le bourreau entra en scène ; Durtal ne le vit pas, mais il le sentit, et ce fut inénarrable. Dès qu'elle eut l'impression de la présence démoniaque réelle, l'âme trembla tout entière, voulut fuir, tourbillonna ainsi qu'un oiseau qui se cogne aux vitres.
Et elle retomba, épuisée ; alors, si invraisemblable que cela fût, les rôles de la vie s'intervertirent ; le corps se dressa, tint bon, commanda l'âme affolée, réprima, dans une tension furieuse, cette panique.
Très nettement, très clairement, Durtal perçut pour la première fois, la distinction, la séparation de l'âme et du corps, et pour la première fois aussi, il eut conscience de ce phénomène d'un corps qui avait tant torturé sa compagne par ses exigences et ses besoins, oublier dans le danger commun toutes les rancunes et empêcher celle qui lui résistait d'habitude de sombrer.
Il vit cela en un éclair et subitement tout s'effaça. Il sembla que le démon s'était éloigné ; le mur de ténèbres qui cernait Durtal s'ouvrit et des lueurs fusèrent de toutes parts ; en un immense élan, le Salve Regina, jailli du choeur, balayait les fantômes, chassait les larves.
Le cordial exalté de ce chant le ranima. Il reprit courage, se remit à espérer que cet effroyable abandon allait cesser ; il pria et ses exorations s'élevèrent ; il comprit qu'elles étaient écoutées enfin.
L'office était terminé ; il rejoignit l'hôtellerie, et quand il parut si défait, si pâle, devant le père étienne et l'oblat, ils s'écrièrent : qu'avez-vous ?
Il s'effondra sur une chaise, essaya de leur décrire l'épouvantable calvaire qu'il avait gravi. Il y a plus de neuf heures que cela dure, fit-il, je m' étonne de n'être pas devenu fou ! - et il ajouta : c'est égal, jamais je n'aurais cru que l'âme pût tant souffrir !
Et le visage du père s'illumina. Il pressa les mains de Durtal et lui dit :
- Réjouissez-vous, mon frère ; vous êtes traité tel qu'un moine ici !
- Comment cela ? fit Durtal, interdit.
- Mais oui, cette agonie, - car il n'y a pas d'autre mot pour définir l'horreur de cet état, - elle est une des plus sérieuses épreuves que Dieu nous inflige ; c'est une des opérations de la vie purgative ; soyez heureux, car c'est une grande grâce que Jésus vous fait !
- Et cela prouve que votre conversion est bonne, affirma l'oblat.
- Dieu ! mais ce n'est pas lui pourtant qui m'a insinué les doutes sur la foi, qui a fait naître en moi la folie des scrupules, qui m'a suscité l'esprit de blasphème, qui m'a caressé par de dégoûtantes apparitions, la face !
- Non, mais il le permet. Ah ! c'est affreux, je le sais, dit l'hôtelier. Dieu se cache et, on a beau l'appeler, il ne vous répond pas. On se croit délaissé et cependant il est près de vous ; et tandis qu'il s'efface, Satan s'avance. Il vous tortille, il vous pose un microscope sur vos fautes ; sa malice vous ronge la cervelle ainsi qu'une lime sourde - et, quand à tout cela se joignent, pour vous excéder, les visions impures…
Le trappiste s'interrompit-puis, se parlant à lui-même, lentement, il dit :
- Ce ne serait rien d'être en présence d'une tentation réelle, d'une vraie femme, en chair et en os, mais ces apparences sur lesquelles l'imagination travaille, c'est horrible !
- Et moi qui croyais que l'on avait la paix dans les cloîtres !
- Non, on est sur cette terre pour lutter et c'est justement dans les cloîtres que le très-bas s'agite ; là, les âmes lui échappent et il veut, à tout prix, les conquérir. Aucun endroit sur la terre n'est plus hanté par lui qu'une cellule ; personne n'est plus harcelé qu'un moine.
- Un récit qui figure dans la vie des pères du désert est à ce point de
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