En Route
solennelles, moins intéressantes même qu'à Saint-Sulpice, conclut Durtal, car le bréviaire monastique est par extraordinaire moins complet pour cet office que le bréviaire romain. Quant aux vêpres du dimanche, je suis curieux de les entendre, ici.
Et il les entendit ; mais elles ne différaient guère des vêpres adoptées par les bénédictines de la rue monsieur ; elles étaient plus massives, plus graves, plus romanes, si l'on peut dire, car, forcément les voix de femmes les effilent en lancettes, les ogivent, les modulent, en quelque sorte, dans le style gothique, mais les airs grégoriens étaient les mêmes.
Par contre, elles ne ressemblaient en rien à celles de Saint-Sulpice, dont les sauces modernes sophistiquent les essences mêmes des plains-chants. Seulement le Magnificat de la Trappe, abrupt et d'un éclat sec, ne valait pas ce majestueux, cet admirable Magnificat Royal qu'à Paris l'on chante.
Ils sont étonnants avec leurs superbes voix, ces moines, se disait Durtal et il sourit, tandis qu'ils achevaient le cantique de la vierge, car il se rappelait que, dans la primitive église le chantre s'appelait "fabarius cantor", "mangeur de fèves", parce qu'il était condamné à manger ces légumes pour fortifier sa voix. Or, à la Trappe, les plats de fèves étaient fréquents ; c'était peut-être là la recette des voix monastiques toujours jeunes !
Et il rêvassait à la liturgie et au plain-chant, en fumant des cigarettes, après vêpres, dans les allées.
Il se remémorait le symbolisme de ces heures canoniales qui retraçaient, chaque jour, au fidèle, la brièveté de la vie, lui en résumaient l'image, depuis l'enfance jusqu'à la mort.
Récitée, dès l'aube, Prime figurait l'adolescence ; Tierce la jeunesse ; Sexte la pleine vigueur de l'âge ; None les approches de la vieillesse et les Vêpres allégorisaient la décrépitude. Elles appartenaient d'ailleurs aux nocturnes et elles se psalmodiaient jadis à six heures du soir, à cette heure où, au temps des équinoxes, le soleil se couche dans la cendre rouge des nuées. Quant aux complies, elles retentissaient, alors que, symbole du trépas, la nuit était venue.
Cet office canonial était un merveilleux rosaire de psaumes ; chaque grain de chacune de ces heures se référait aux différentes phases de l'existence humaine, suivait, peu à peu, les périodes du jour, le déclin de la destinée, pour aboutir au plus parfait des offices, aux Complies, cette absoute provisoire d'une mort représentée, elle-même, par le sommeil !
Et si, de ces textes si savamment triés, de ces proses si solidement scellées, Durtal passait à la robe sacerdotale de leurs sons, à ces chants neumatiques, à cette divine psalmodie, toute uniforme, toute simple, qu'est le plain-chant, il devait constater que, sauf dans les cloîtres bénédictins, on lui avait partout adjoint un accompagnement d'orgue, on l'avait enfourné de force dans la tonalité moderne et il disparaissait sous ces végétations qui l'étouffaient, devenait partout incolore et amorphe, incompréhensible.
Un seul de ses bourreaux, Niedermeyer, s'était au moins montré pitoyable. Lui, avait essayé d'un système plus ingénieux et plus probe. Il avait renversé les termes du supplice. Au lieu de vouloir assouplir le plain-chant et le fourrer dans le moule de l'harmonie moderne, il avait contraint cette harmonie à se ployer à la tonalité austère du plain-chant. Il conservait ainsi son caractère, mais combien il eût été plus naturel de le laisser solitaire, de ne pas l'obliger à remorquer un inutile cortège, une maladroite suite !
Ici au moins, à la Trappe, il vivait, s'épanouissait, en toute sécurité, sans traîtrises de la part de ces moines. Il y avait toujours homophonie, toujours on le chantait, sans accompagnement, à l'unisson.
Cette vérité, il put se la confirmer, une fois de plus, après le souper, le soir, alors qu'à la fin des complies, le père sacristain alluma tous les cierges de l'autel.
A ce moment, dans le silence, ces trappistes à genoux, la tête dans leurs mains ou la joue penchée sur la manche de leur grande coule, trois convers entrèrent, deux tenant des flambeaux et un autre qui les précédait, un encensoir ; et, derrière eux, à quelques pas, le prieur s'avança, les mains jointes.
Durtal regardait le costume changé des trois frères. Ils n'avaient plus leur robe de bure, faite de pièces et de morceaux, pisseuse, couleur
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