En Route
cependant la papauté a formellement défendu par plusieurs bulles de laisser souiller le sanctuaire par des fredons. Pour n'en citer qu'une, dans son extravagante Docta sanctorum, Jean XXII a expressément prohibé la musique et les voix profanes dans les temples. Il a en même temps interdit aux maîtrises d'altérer par des fioritures le plain-chant. Les décrets du concile de Trente ne sont pas, à ce point de vue, moins nets, et, tout récemment encore, un règlement de la sacrée congrégation des rites est intervenu pour proscrire les sabbats musicaux dans les lieux saints.
Alors que font les curés qui sont, en somme, chargés de la police musicale dans leurs églises ? rien, ils s'en fichent.
Ah ! ce n'est pas pour dire, mais avec ces prêtres qui, dans l'espoir d'une recette, permettent, les jours de fête, à des voix retroussées d'actrices de danser le chahut aux sons pesants de l'orgue, elle est devenue quelque chose de pas bien propre, la pauvre Eglise !
A Saint-Sulpice, reprit Durtal, le curé tolère la vilenie des gaudrioles qu'on lui sert, mais il n'admet pas au moins, comme celui de Saint-Séverin, que des cabotines égaient, le vendredi saint, par les éclats débraillés de leurs voix, l'office. Il n'a pas encore accepté non plus le solo de cor anglais que j'ai ouï, un soir d'adoration perpétuelle, à Saint-Thomas. Enfin, si les grands saluts à Saint-Sulpice sont une honte, les complies y restent, malgré leur attitude théâtrale, vraiment charmantes.
Et Durtal songea à ces Complies dont la paternité est souvent attribuée à saint Benoît ; elles étaient, en somme, la prière intégrale des soirs, l'adjuration préventive, la sauvegarde contre les entreprises du succubat ; elles étaient, en quelque sorte, des sentinelles avancées, des grand'gardes posées autour de l'âme, pour la protéger, pendant la nuit.
Et l'ordonnance de ce camp retranché de prières était parfaite. Après la bénédiction, la voix la plus amenuisée, la plus filiforme de la maîtrise, la voix du plus petit des enfants lançait, ainsi qu'un qui vive, la leçon brève tirée de la première épître de saint Pierre, avertissant les fidèles qu'ils aient à être sobres et à veiller pour ne pas se laisser surprendre à l'improviste. Un prêtre récitait ensuite les prières habituées des soirs, l'orgue de choeur donnait l'intonation et les psaumes tombaient, psalmodiés, un à un, des psaumes crépusculaires où, devant ces approches de la nuit peuplée de lémures et sillonnée de larves, l'homme appelle Dieu à l'aide et le prie d'éloigner de son sommeil le viol des chemineaux de l'enfer, le stupre des lamies qui passent.
Et l'hymne de saint Ambroise, le Te lucis ante terminum, précisait davantage encore le sens épars de ces psaumes, le résumait en ses courtes strophes. Malheureusement la plus importante, celle qui prévoit et décèle les dangers luxurieux de l'ombre, était engloutie par les grandes orgues. Cette hymne à Saint-Sulpice ne se clamait pas en plain-chant, ainsi qu'à la Trappe, mais il s'entonnait sur un air pompeux et martelé, un air emballé de gloire, d'une assez fière allure, originaire sans doute du dix-huitième siècle.
Puis, c'était une pause - et l'homme se sentait mieux à l'abri, derrière ce rempart d'invocations, se recueillait alors, plus rassuré, et empruntait des voix innocentes pour adresser à Dieu de nouvelles suppliques. Après le capitule débité par l'officiant, les enfants de la maîtrise chantaient le répons bref In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum qui se déroulait en se bissant, puis se dédoublait et ressoudait à la fin ses deux tronçons séparés par un verset et une moitié d'antienne.
Et après cette prière c'était encore le cantique de ce Siméon qui, dès qu'il eût vu le messie, désira mourir. Ce Nunc dimittis que l'église a incorporé dans les complies, pour nous stimuler à nous reviser, le soir, - car nul ne sait s'il se réveillera, le lendemain, - était enlevé par toute la maîtrise qui alternait avec les répons de l'orgue.
Enfin, pour terminer cet office de ville assiégée, pour prendre ses dernières dispositions et tenter de reposer à l'abri d'un coup de main, en paix, l'église édifiait encore quelques oraisons et plaçait ses paroisses sous la tutelle de la vierge dont elle chantait une des quatre antiennes qui se succèdent, suivant le Propre.
Les Complies sont évidemment à la Trappe moins
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