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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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l'atteignait déjà par-dessus les digues franchies du cloître.
    Ainsi qu'une bête capturée, il commença de se frotter contre les barreaux de sa cage, fit le tour de la clôture, s'emplissant la vue de ces paysages où il avait égoutté de si clémentes et de si cruelles heures.
    Il sentait en lui un affaissement de terrain, un éboulis d'âme, un découragement absolu devant cette perspective de rentrer dans l'existence habituelle, de se mêler à nouveau aux va-et-vient des hommes ; et il éprouvait en même temps une fatigue cérébrale immense.
    Il se traîna par les allées, dans un état de complet déconfort, dans un de ces accès de spleen religieux qui déterminent, lorsqu'ils se prolongent, pendant des années, le taedium vitae des cloîtres. Il avait horreur d'une vie autre que celle-là et l'âme, surmenée par des prières, défaillait dans un corps insuffisamment reposé et mal nourri ; elle n'avait plus aucun désir, demandait à n'être pas dérangée, à dormir, tombait dans un de ces états de torpeur où tout devient indifférent, où l'on finit par perdre doucement connaissance, par s'asphyxier sans que l'on souffre.
    Il avait beau, pour réagir en se consolant, se promettre qu'il assisterait, à Paris, aux offices des bénédictines, qu'il se tiendrait sur la lisière de la société, à part, il était bien obligé de se répondre que ces subterfuges sont impossibles, que l'évent même de la ville est rebelle aux leurres, que l'isolement dans une chambre ne ressemble en rien à la solitude d'une cellule, que les messes célébrées dans les chapelles ouvertes au public ne peuvent s'assimiler aux offices fermés des Trappes.
    Puis à quoi bon tenter de se méprendre ? Il en était de l'âme comme du corps qui se porte mieux au bord de la mer ou dans les montagnes que dans le fond des villes. Il y avait l'air spirituel meilleur même à Paris, dans certains quartiers religieux de la rive gauche que dans les arrondissements situés sur l'autre rive ; plus vif dans quelques basiliques, plus pur, par exemple, à Notre-Dame-des-Victoires que dans les églises telles que la Trinité ou la Madeleine.
    Mais le monastère était, en quelque sorte, la vraie plage et le haut plateau de l'âme. L'atmosphère y était balsamique ; les forces revenaient, l'appétit perdu de Dieu se ranimait ; c'était la santé succédant aux malaises, le régime fortifiant et soutenu substitué à la langueur, aux exercices restreints des villes.
    Cette conviction qu'aucune duperie ne lui serait à Paris possible l'atterra. Il vagabonda de la cellule à la chapelle, de la chapelle dans les bois, attendant avec impatience l'heure du dîner pour pouvoir parler à quelqu'un, car, dans son désarroi, un nouveau besoin venait de naître. Il avait, depuis plus de huit jours, étiré des après-midi entières sans desserrer les dents ; il n'en souffrait pas, était même satisfait de ce silence, mais depuis qu'il était talonné par cette idée d'un départ, il ne pouvait plus se taire, pensait dans les allées, tout haut, pour alléger cette sensation de coeur gros qui l'étouffait.
    M. Bruno était trop sagace pour ne point deviner le malaise de son compagnon, devenu tour à tour taciturne et bavard pendant le repas. Il fit semblant de ne rien voir, mais, après qu'il eut récité les grâces, il disparut et Durtal, qui rôdait près du grand étang, fut surpris de l'apercevoir se dirigeant de son côté avec le P. Etienne.
    Ils l'accostèrent et le trappiste qui souriait lui proposa, s'il n'avait pas formé d'autre projet, de se distraire, en visitant le couvent et surtout la bibliothèque que le père serait ravi de lui montrer.
    - Si cela me convient, mais certainement ! s'écria Durtal.
    Ils retournèrent, tous les trois, vers l'abbaye ; le moine souleva le loquet d'une petite porte creusée dans un mur près de l'église et Durtal pénétra dans un cimetière minuscule, planté de croix de bois sur des tombes d'herbe.
    Il n'y avait aucune inscription, aucune fleur dans cet enclos qu'ils traversèrent ; le moine poussa une autre porte et ils débouchèrent dans un long couloir qui puait le rat. Au bout de ce couloir, Durtal reconnut l'escalier qu'il avait franchi, un matin, pour aller se confesser chez le prieur. Ils le laissèrent à leur gauche, tournèrent dans une autre galerie et l'hôtelier les introduisit dans une salle immense, percée de hautes fenêtres, décorée de trumeaux du dix-huitième siècle

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