En Route
et de grisailles ; elle était exclusivement meublée de bancs et de stalles au-dessus desquels, un siège isolé, sculpté d'armes abbatiales peintes, marquait la place de Dom Anselme.
- Oh ! cette salle du chapitre, elle n'a rien de monastique ! Dit le père étienne, en désignant les peintures profanes des murs ; nous avons conservé tel quel le salon de cet ancien château, mais je vous prie de croire que ce décor ne nous plaît guère.
- Et que fait-on dans cette salle ?
- Mais, nous nous y réunissons après la messe ; le chapitre s'ouvre par la lecture du martyrologe, suivie des dernières prières de Prime. Puis on lit un passage de la règle que le P. abbé commente. Enfin, nous pratiquons l'exercice d'humilité, c'est-à-dire que celui d'entre nous qui a commis une faute contre la règle se prosterne et l'avoue devant ses frères.
Ils se rendirent de là au réfectoire. Cette pièce aussi haute de plafond, mais plus petite, était garnie de tables dessinant la forme d'un fer à cheval. Des sortes de grands huiliers contenant, chacun, deux demi-bouteilles de piquette séparées par une carafe et, devant eux, des tasses de terre brune à deux anses servant de verres, y étaient, de distance en distance, posés. Le moine expliqua que ces faux huiliers à trois branches indiquaient la place de deux couverts, chaque moine ayant droit à sa demi-bouteille de boisson et partageant avec son voisin l'eau de la carafe.
- Cette chaire, reprit le P. Etienne, en désignant un grand coquetier de bois, adossé à la muraille, est destinée au lecteur de semaine, au père qui fait la lecture pendant le repas.
- Et il dure combien de temps ce repas ?
- Juste une demi-heure.
- Oui, et la cuisine que nous autres nous mangeons est une cuisine délicate, en comparaison de celle qu'on sert aux moines, dit l'oblat.
- Je mentirais si je vous affirmais que nous nous régalons, répondit l'hôtelier. Savez-vous ce qui est le plus pénible à supporter, les premiers temps surtout, c'est le manque d'assaisonnement des plats. Le poivre et les épices sont interdits par la règle, et comme aucune salière ne figure sur notre table, nous avalons tels quels des aliments qui sont à peine salés, pour la plupart.
Certains jours d'été, lorsque l'on sue à grosses gouttes, cela devient presque impossible, car le coeur lève. Et il faut s'enfourner quand même cette pâtée chaude, l'absorber en quantité suffisante pour ne pas faiblir jusqu'au lendemain ; on se regarde, découragés, n'en pouvant plus ; il n'y a pas d'autre mot pour définir notre dîner au mois d'août, c'est un supplice.
- Et tous, le P. abbé, le prieur, les pères, les frères, tous ont la même nourriture ?
- Tous. Venez visiter maintenant le dortoir.
Ils montèrent au premier. Un immense corridor, garni, tel qu'une écurie, de box de bois, s'étendait, fermé à chacun de ses bouts par une porte.
- Voici notre logis, fit le moine, en s'arrêtant devant ces cases. Des pancartes étaient placées au-dessus d'elles, affichant le nom de chaque moine et la première arborait sur son étiquette cette inscription : le père abbé.
Durtal tâta le lit accoté contre l'une des deux cloisons.
Il avait l'aspérité d'un peigne à carder et le mordant d'une râpe. Il se composait d'une simple paillasse piquée, étendue sur une planche ; pas de draps, mais une couverture de prison en laine grise ; à la place des oreillers un sac de paille.
- Dieu que c'est dur ! s'écria Durtal, et le moine rit.
- Nos robes amortissent la rugosité de ce faux matelas, dit-il, car la règle ne nous permet pas de nous déshabiller ; nous pouvons seulement nous déchausser ; aussi dormons-nous tout vêtus, la tête enveloppée dans notre capuce.
- Et ce qu'il doit faire froid dans ce corridor balayé par tous les vents ! ajouta Durtal.
- Sans doute, l'hiver est farouche ici ; mais ce n'est pas cette saison-là qui nous alarme ; on vit tant bien que mal, même sans feu, par les temps de glace ; mais l'été ! - Si vous saviez ce que le réveil dans des vêtements encore trempés de sueur, pas secs depuis la veille, est atroce !
Puis, bien qu'à cause de la grande chaleur on ait souvent à peine dormi, il faut, avant le jour, sauter en bas de sa couche et commencer aussitôt le grand office de nuit, les vigiles qui durent au moins deux heures. Même après vingt ans de Trappe, on ne peut pas ne point souffrir de ce lever ; on se bat à la chapelle contre
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