En Route
comme sainte Térèse les mystères de l'amour divin et ne trace pas l'itinéraire des âmes destinées à la vie parfaite, elle reflète directement au moins les entretiens du ciel. Elle appelle, elle aime ! Vous avez parcouru, monsieur, ses traités de la discrétion et de la prière ?
- Non. J'ai lu Catherine de Gênes, mais les livres de Catherine de Sienne ne me sont jamais tombés entre les mains.
- Et ce recueil-ci, qu'en pensez-vous ?
Durtal regarda le titre et fit la moue.
- Je vois que Suso ne vous ravit guère.
- Je mentirais si je vous assurais que les dissertations de ce Dominicain m'enchantent. D'abord, l'illuminé que fut cet homme ne m'attire pas. Sans parler de la frénésie de ses pénitences, quelle minutie de dévotion, quelle étroitesse de piété fut la sienne ! Songez qu'il ne pouvait se décider à boire sans avoir, au préalable, divisé son breuvage en cinq parts. Il pensait honorer ainsi les cinq plaies du sauveur ; et encore avalait-il en deux fois sa dernière gorgée, pour s'évoquer l'eau et le sang qui sortirent du flanc du Verbe.
Non, ça ne m'entre pas dans la caboche, ces choses-là ; jamais, je n'admettrai que de semblables pratiques puissent glorifier le Christ !
Et, remarquez bien que cet amour des égrugeures, que cette passion des béatilles se retrouve dans toute son oeuvre. Son Dieu est si difficile à contenter, si méticuleux, si tâtillon, que personne n'irait au ciel si l'on croyait ce qu'il raconte ! - C'est un épilogueur d'éternité, un grigou de paradis, ce Dieu-là !
En somme, Suso s'épand en d'impétueux discours sur des vétilles ; puis ce qu'avec ses insipides allégories, son morose Colloque des neuf rochers m'assomme !
- Vous conviendrez bien, pourtant, que son étude sur l'Union de l'âme est substantielle et que l'office de l'Eternelle Sagesse qu'il composa vaut qu'on le lise.
- Je ne dis pas, mon père ; je n'ai plus présent à la mémoire cet office ; mais je me rappelle assez bien le traité de l'Union avec Dieu ; il m'a semblé plus intéressant que le reste, mais avouez qu'il est de bien courte haleine… et puis sainte Térèse a élucidé, elle aussi, cette question du renoncement humain et de la fruition divine… et dame alors !
- Allons, fit l'oblat en souriant, je renonce à faire de vous un lecteur fervent du bon Suso.
- Pour nous, reprit le P. Maximin, voici vraiment quel devrait être, si nous avions un peu de temps pour travailler, le levain de nos méditations, le sujet de nos lectures et il amena à lui un in-folio qui contenait les oeuvres de sainte Hildegarde, abbesse du monastère de Ruperstberg.
C'est que, voyez-vous, celle-là est la grande prophétesse du Nouveau Testament. Jamais, depuis les visions de saint Jean à Pathmos, l'esprit-saint ne s'était communiqué à un être terrestre avec autant de plénitude et de lumière. Dans son Heptachronon, elle prédit le protestantisme et la captivité du Vatican ; dans son Scivia ou connaissance des voies du seigneur qui a été rédigé, d'après son récit, par un moine du couvent de Saint-Désibode, elle interprète les symboles des écritures et la nature même des éléments. Elle a également écrit un diligent commentaire de notre règle et d'altières et d'enthousiastes pages sur la musique sacrée, sur la littérature, sur l'art qu'elle définit excellemment : une réminiscence à moitié effacée d'une condition primitive dont nous sommes déchus depuis l'éden. Malheureusement, pour la comprendre, il faut se livrer à de minutieuses recherches, à de patientes études. Son style apocalyptique a quelque chose de rétractile ; il semble qu'il se recule et se referme davantage encore lorsqu'on veut l'ouvrir.
- Je sais bien, moi, que j'y perds mon peu de latin, dit M. Bruno. Quel dommage qu'il n'existe pas une traduction, avec gloses à l'appui, de ses oeuvres !
- Elles sont intraduisibles, fit le père qui poursuivit :
Sainte Hildegarde est, avec saint Bernard, l'une des plus pures gloires de la famille de saint Benoît. Quelle prédestinée que cette vierge qui fut inondée des clartés intérieures dès l'âge de trois ans et mourut à quatre-vingt-deux ans, après avoir vécu toute sa vie dans les cloîtres !
- Et ajoutez qu'elle fut, à l'état permanent, fatidique, s'écria l'oblat. Elle ne ressemble à aucune autre sainte ; tout en elle étonne jusqu'à cette façon dont Dieu l'apostrophe, car il oublie qu'elle est femme et l'appelle :
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