En Route
et les psaumes dont le glas faisait vaciller la flamme des cierges de cire brune, et, après chaque halte, à la fin de chacun des psaumes, l'un des cierges expirait et sa fusée de fumée bleue s'évaporait encore dans le pourtour ajouré des arches, lorsque le choeur reprenait la série interrompue des plaintes.
Et la couronne conversait une fois de plus ; les grains de ce rosaire musical coulaient encore et tout changeait. Jésus était ressuscité et les chants d'allégresse sautaient des orgues. Le Victimae paschali laudes exultait avant l'évangile des messes et, au salut, l'O filii et filiae, vraiment créé pour être entonné par les jubilations éperdues des foules, courait, jouait, dans l'ouragan joyeux des orgues qui déracinaient les piliers et soulevaient les nefs.
Et les fêtes carillonnées se suivaient à de plus longs intervalles. à l'Ascension, les cristaux lourds et clairs de saint Ambroise emplissaient d'eau lumineuse le bassin minuscule des chatons ; les feux des rubis et des grenats s'allumaient à nouveau avec l'hymne cramoisie et la prose écarlate de la Pentecôte, le Veni creator et le Veni Spiritus. La fête de la Trinité passait, signalée par les quatrains de Grégoire le Grand et pour la fête du saint sacrement, la liturgie pouvait exhiber le plus merveilleux écrin de son douaire, l'office de saint Thomas, le Pange lingua, l'Adoro te, le Sacris Solemniis, le Verbum supernum et surtout le Lauda Sion, ce pur chef-d'oeuvre de la poésie latine et de la scolastique, cette hymne si précise, si lucide dans son abstraction, si ferme dans son verbe rimé autour duquel s'enroule la mélodie la plus enthousiaste, la plus souple peut-être du plain-chant.
Le cercle se déplaçait encore, montrant sur ses différentes faces les vingt-trois à vingt-huit dimanches qui défilent derrière la Pentecôte, les semaines vertes du temps de pèlerinage, et il s'arrêtait à la dernière férie, au dimanche après l'octave de la Toussaint, à la dédicace des églises qu'encensait le Coelestis urbs, de vieilles stances dont les ruines avaient été mal consolidées par les architectes d'Urbain VIII, d'antiques cabochons dont l'eau trouble dormait, ne s'animait qu'en de rares lueurs.
La soudure de la couronne religieuse de l'année liturgique se faisait alors aux messes où l'évangile du dernier dimanche qui suit la Pentecôte, l'évangile selon saint Mathieu répète, ainsi que l'évangile selon saint Luc qui se récite au premier dimanche de l'Avent, les terribles prédictions du Christ sur la désolation des temps, sur la fin annoncée du monde.
Ce n'est pas tout, reprit Durtal que cette course au travers de son paroissien intéressait. Dans cette couronne du propre du temps, s'insèrent, telles que des pierres plus petites, les proses du propre des saints qui comblent les places vides et achèvent de parer le cycle.
D'abord, les perles et les gemmes de la Sainte Vierge, les joyaux limpides, les saphirs bleus et les spinelles roses de ses antiennes, puis l'aigue-marine si lucide, si pure de l'Ave maris stella, la topaze pâlie des larmes de l'O quot undis lacrymarum de la fête des sept douleurs, et l'hyacinthe, couleur de sang essuyé, du Stabat; puis s'égrènent les fêtes des anges et des saints, les hymnes dédiées aux apôtres et aux évangélistes, aux martyrs solitaires ou accouplés, hors et pendant le temps pascal, aux confesseurs pontifes ou non pontifes, aux vierges, aux saintes femmes, toutes fêtes différenciées par des séquences particulières, par des proses spéciales, dont quelques-unes naïves, comme les quatrains tressés en l'honneur de la nativité de saint Jean-baptiste, par Paul Diacre.
Il reste enfin la Toussaint avec le Placare Christe et les trois coups de tocsin, le glas en tercets du Dies irae qui retentit le jour réservé à la commémoration des morts.
Quel immense bien-fonds de poésie, quel incomparable fief d'art l'église possède ! S'écria-t-il, en fermant son livre ; et des souvenirs se levaient pour lui de cette excursion dans l'eucologe.
Que de soirs où la tristesse de vivre s'était dissipée, en écoutant ces proses clamées dans les églises !
Il repensait à la voix suppliante de l'Avent et il se rappelait un soir où il rôdait, sous une pluie fine, le long des quais. Il était chassé de chez lui par d'ignobles visions et en même temps obsédé par le dégoût croissant de ses vices. Il avait fini, sans le vouloir, par échouer à
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