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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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demeurassent douloureuses et humbles. Et que pouvaient leur faire alors les soucis d'une journée écoulée dans la bonne honte des bas emplois ?
    "Je comprends pourquoi l'abbé tenait tant à ce que je visse les églises à ces heures matinales ou tardives, se disait Durtal ; ce sont les seules, en effet, où les âmes s'ouvrent."
    Mais il était trop paresseux pour assister souvent à la messe de l'aube ; il se contenta donc de faire escale, après son dîner, dans les chapelles. Il en sortait, même en priant mal, même en ne priant pas, apaisé, en somme. D'autres soirs, au contraire, il se sentait las de solitude, las de silence, las de ténèbres et alors il délaissait Saint-Sulpice et allait à Notre-Dame des Victoires.
    Ce n'était plus, dans ce sanctuaire très éclairé, cet abattement, ce désespoir de pauvres hères qui se sont traînés jusqu'à l'église la plus proche et s'y sont affaissés dans l'ombre. Les pèlerins apportaient à Notre-Dame une confiance plus sûre et cette foi adoucissait leurs chagrins dont l'amertume se dissipait dans les explosions d'espoirs, dans les balbuties d'adoration, qui jaillissaient autour d'elle. Deux courants traversaient ce refuge, celui des gens qui sollicitaient des grâces et celui des gens qui, les ayant obtenues, s'épandaient en des remerciements, en des actes de gratitude. Aussi cette église avait-elle une physionomie spéciale, plus joyeuse que triste, moins mélancolique, plus ardente, en tout cas, que celle des autres églises.
    Elle présentait enfin cette particularité d'être très fréquentée par les hommes ; mais elle abritait moins des cafards aux regards en fuite ou aux yeux blancs, que des gens de tous les monde dont une fausse piété n'avait pas avili les traits ; là, seulement, on voyait des visages clairs et des faces propres ; l'on n'y voyait point surtout l'horrible grimace de l'ouvrier des cercles catholiques, de l'affreux blousard dont l'haleine dément l'onction mal arrêtée des traits.
    Dans cette église couverte d'ex-voto, plaquée jusqu'en haut de ses voûtes d'inscriptions de marbre célébrant la joie des prières accueillies et des bienfaits reçus, devant cet autel de la Vierge où des centaines de cierges dardaient dans l'air bleu des encens les fers dorés de leurs lances, la prière en commun avait lieu, à huit heures, tous les soirs. Un prêtre en chaire débitait le chapelet, puis quelquefois les litanies de Marie étaient chantées sur un air bizarre, sur une sorte de centon musical, fabriqué avec on ne savait quoi, très rythmé et changeant continuellement de ton ; tour à tour, preste et grave, amenant, pendant une seconde, une vague réminiscence de vieux airs du dix-septième siècle, puis tournant brusquement à un coude, en une mélodie d'orgue de barbarie, en une mélodie moderne, presque canaille.
    Et il était quand même captivant ce salmis biscornu de sons ! Après le Kyrie eleison et les invocations du début, la Vierge entrait en scène comme une ballerine sur une mesure de danse, mais lorsque défilaient certaines de ses qualités, lorsque s'annonçaient certains de ses symboles, la musique devenait singulièrement respectueuse ; elle se ralentissait, s'attardait, solennelle, répétant, par trois fois, sur le même motif, quelques-uns de ses attributs, le Refugium Peccatorum entre autres, puis elle reprenait sa marche, et recommençait ses grâces en sautillant.
    Et quand la chance voulait qu'il n'y eût point de sermon, le salut avait lieu aussitôt après.
    On y célébrait, avec des raclures de maîtrise, avec une basse catarrhale et un ou deux enfants qui reniflaient, les chants liturgiques : l'Inviolata, cette prose languissante et plaintive, à la mélodie blanche et traînée, si convalescente, si débile qu'elle semblerait ne devoir être chantée que par des voix d'hospices, puis le Parce Domine, cette antienne si suppliante et si triste, enfin ce morceau détaché du Pange lingua, le Tantum ergo, humble et réfléchi, admiratif et lent.
    Quand l'orgue plaquait ses premiers accords, quand cette mélodie de plain-chant commençait, la maîtrise n'avait plus qu'à se croiser les bras et à se taire. Ainsi que ces cierges que l'on allume par des fils de fulminate reliés entre eux, les fidèles prenaient feu et, conduits par l'orgue, ils entonnaient eux-mêmes l'humble et le glorieux chant. Ils étaient alors agenouillés sur les chaises, prosternés sur les dalles et, lorsque après

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