En Route
d'être culbuté au premier assaut !
- Ceci, c'est une autre question. - Allons, je vois que vous vous êtes au moins défendu et qu'à l'heure actuelle vous vous trouvez, en effet, dans un état de fatigue qui exige une aide.
Rassurez-vous donc ; allez en paix et péchez moins ; la plus grande part de vos tentations va vous être remise ; vous pourrez, si vous le voulez bien, supporter le reste ; seulement, faites attention, si vous succombez désormais, vous serez sans excuse et je ne réponds pas alors qu'au lieu de s'améliorer, votre situation ne s'aggrave..
Et comme Durtal, stupéfié, balbutiait : vous croyez…
- Je crois, fit le prêtre, à la substitution mystique dont je vous ai parlé ; vous l'expérimenterez sur vous-même d'ailleurs ; des saintes vont, pour vous secourir, entrer en lice ; elles prendront le surplus des assauts que vous ne pouvez vaincre ; sans même qu'ils connaissent votre nom, du fond de leur province, des monastères de carmélites et de clarisses vont, sur une lettre de moi, prier pour vous.
Et le fait est qu'à partir de ce jour-là, les attaques les plus lancinantes cessèrent. Cette accalmie, cette trève, la dut-il à l'intercession des ordres cloîtrés ou au changement de temps qui se produisit, à la défaillance du soleil qui se submergea sous des flots de pluie ; il ne le sut ; une seule chose était certaine, c'est que les tentations s'espacèrent et qu'il put impunément les subir.
Cette idée de couvents le tirant par compassion de la bourbe où il s'enlisait, le ramenant par charité sur une berge, l'exalta. Il voulut aller, avenue de Saxe, prier chez les soeurs de celles qui souffraient pour lui.
Plus de lumières, plus de foules, comme ce matin où il avait assisté à une prise de voile ; plus d'odeur de cire et d'encens, plus de défilé de robe pourpre et de chape d'or ; c'était le désert et la nuit.
Il se tenait là, seul, dans cette chapelle sombre et humide, sentant l'eau qui dort ; et, sans dévider le tournebroche des chapelets ou répéter les oraisons apprises, il rêvassait, cherchant à voir un peu clair dans sa vie, à se rendre compte. Et tandis qu'il se colligeait, des voix lointaines arrivaient derrière la grille et elles s'approchaient peu à peu, passaient par le noir tamis du voile, tombaient brisées autour de l'autel dont la masse confuse se dressait dans l'ombre.
Ces voix des Carmélites aidaient Durtal à s'effondrer dans le désespoir.
Assis sur une chaise il se disait : Lorsqu'on est ainsi que moi incapable de désintéressement quand on lui parle, il est presque honteux de l'oser prier, car enfin si je songe à lui, c'est pour demander un peu de bonheur-et cela n'a aucun sens. Dans l'immédiat naufrage de la raison humaine voulant expliquer l'effrayante énigme du pourquoi de la vie, une seule idée surnage, au milieu des débris des pensées qui sombrent, l'idée d'une expiation que l'on sent et dont on ne comprend pas la cause, l'idée que le seul but assigné à la vie est la Douleur.
Chacun aurait un compte de souffrances physiques et morales à épuiser et alors quiconque ne le règle pas, ici-bas, le solde après la mort ; le bonheur ne serait qu'un emprunt qu'il faudrait rendre ; ses simulacres mêmes s'assimileraient à des avances d'hoirie sur une future succession de peines.
Qui sait, dans ce cas, si les anesthésiques qui suppriment la douleur corporelle n'endettent point ceux qui s'en servent ? Qui sait si le chloroforme n'est pas un agent de révolte et si cette lâcheté de la créature à souffrir n'est point une sédition, presque un attentat contre les volontés du ciel ? S'il en est ainsi, ces arriérés de tortures, ces débets de détresse, ces warrants de peines évitées, doivent produire de terribles intérêts, Là-Haut ; cela justifie le cri d'armes de sainte Térèse : "Seigneur, toujours souffrir ou mourir !" cela explique pourquoi, dans leurs épreuves, les saints se réjouissent et supplient le Seigneur de ne les point épargner, car ils savent, ceux-là, qu'il faut payer la somme purificatrice des maux pour demeurer, après la mort, indemne.
Puis, soyons justes, sans la douleur, l'humanité serait trop ignoble, car elle seule peut, en les épurant, exhausser les âmes ! Mais tout ça, ce n'est rien moins que consolant, reprit-il. - Et quel accompagnement pour ses tristes songeries que les voix en deuil de ces nonnes ! Ah ! C'est vraiment affreux.
Et il finissait par fuir,
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