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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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méprises les mieux ignorées du coeur, on reste confondu de l'entendre traitée par les esprits forts d'hystérique et de folle !
    - L'un des signes distinctifs des mystiques, répondit, en souriant, l'abbé, c'est justement l'équilibre absolu, l'entier bon sens.
    Ces conversations remontaient Durtal ; elles déposaient en lui des germes de réflexions qui levaient quand il était seul ; elles l'encourageaient à se fier aux avis de ce prêtre, à suivre ses conseils et il se trouvait d'autant mieux de cette conduite, que ces fréquentations de chapelles, que ces prières, que ces lectures occupaient sa vie désoeuvrée et qu'il ne s'ennuyait plus.
    J'y aurai toujours gagné des soirs pacifiques et des nuits calmes, se disait-il.
    Il connaissait maintenant les attendrissantes aides des soirées pieuses.
    Il visitait Saint-Sulpice, à ces heures où, sous la morne clarté des lampes, les piliers se dédoublent et couchent sur le sol de longs pans de nuit. Les chapelles qui restaient ouvertes étaient noires et devant le maître-autel, dans la nef, un seul bouquet de veilleuses s'épanouissait en l'air dans les ténèbres comme une touffe lumineuse de roses rouges.
    L'on entendait, dans le silence, le bruit sourd d'une porte, le cri d'une chaise, le pas trottinant d'une femme, la marche hâtée d'un homme.
    Durtal était presque isolé dans l'obscure chapelle qu'il avait choisie ; il se tenait alors si loin de tout, si loin de cette ville qui battait, à deux pas de lui, son plein. Il s'agenouillait et restait coi ; il s'apprêtait à parler et il n'avait plus rien à dire ; il se sentait emporté par un élan et rien ne sortait. Il finissait par tomber dans une langueur vague, par éprouver cette aise indolente, ce bien-être confus du corps qui se distend dans l'eau carbonatée d'un bain.
    Il rêvait alors au sort de ces femmes éparses, autour de lui, çà et là, sur des chaises. Ah ! les pauvres petits châles noirs, les misérables bonnets à ruches, les tristes pèlerines et le dolent grénelis des chapelets qu'elles égouttaient dans l'ombre !
    D'aucunes, en deuil, gémissaient, inconsolées encore ; d'autres, abattues, pliaient l'échine et penchaient, tout d'un côté, le cou ; d'autres priaient, les épaules secouées, la tête entre les mains.
    La tâche du jour était terminée ; les excédées de la vie venaient crier grâce. Partout le malheur agenouillé ; car les riches, les biens portants, les heureux ne prient guère ; partout, dans l'église, des femmes veuves ou vieilles, sans affection, ou des femmes abandonnées ou des femmes torturées dans leur ménage, demandant que l'existence leur soit plus clémente, que les débordements de leurs maris s'apaisent, que les vices de leurs enfants s'amendent, que la santé des êtres qu'elles aiment se raffermisse.
    C'était une véritable gerbe de douleurs dont le lamentable parfum encensait la Vierge.
    Très peu d'hommes venaient à ce rendez-vous caché des peines ; encore moins de jeunes gens, car ceux-là n'ont pas assez souffert ; seulement quelques vieillards, quelques infirmes qui se traînaient, en s'appuyant sur le dos des chaises, et un petit bossu que Durtal voyait arriver tous les soirs, un déshérité qui ne pouvait être aimé que par celle qui ne voit même pas les corps !
    Et une ardente pitié soulevait Durtal, à la vue de ces malheureux qui venaient réclamer au ciel un peu de cet amour que leur refusaient les hommes : il finissait, lui, qui ne pouvait prier pour son propre compte, par se joindre à leurs exorations, par prier pour eux !
    Si indifférentes dans l'après-midi, les églises étaient, le soir, vraiment persuasives, vraiment douces ; elles semblaient s'émouvoir avec la nuit, compatir dans leur solitude aux souffrances de ces êtres malades dont elles entendaient les plaintes.
    Et le matin, leur première messe, la messe des ouvrières et des bonnes était non moins touchante ; il n'y avait là ni bigotes, ni curieux, mais de pauvres femmes qui venaient chercher dans la communion la force de vivre leurs heures de besognes onéraires, d'exigences serviles. Elles savaient, en quittant l'église, qu'elles étaient la custode vivante d'un Dieu, que celui qui fut sur cette terre l'invariable indigent ne se plaisait que dans les âmes mansardées ; elles se savaient ses élues, ne doutaient pas qu'en leur confiant, sous la forme du pain, le mémorial de ses souffrances, il exigeait, en échange, qu'elles

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