En Route
supérieur, comme une bûche et un tronc d'arbre qui n'a ni vie, ni mouvement, ni action, ni volonté, ni jugement." Est-ce clair ?
- C'est surtout effarant ! - J'admets bien, reprit Durtal, qu'en échange de tant d'abnégation, les religieuses sont Là-Haut puissamment aidées, mais enfin n'y a-t-il pas des moments de défaillance, des accès de désespoir, des instants où elles regrettent l'existence naturelle au plein air, où elles pleurent cette vie de mortes qu'elles se sont faite ; n'y a-t-il pas enfin des jours où les sens réveillés crient ?
- Sans doute ; dans la vie en clôture, l'âge de vingt-neuf ans est, pour la plupart, à passer, terrible ; car c'est alors que la crise passionnelle surgit ; si la femme franchit ce cap - et presque toujours elle le franchit - elle est sauvée.
Mais la sédition charnelle n'est pas encore, à proprement parler, l'assaut le plus douloureux qu'elles supportent. Le véritable supplice qu'elles endurent, dans ces heures de trouble, c'est le regret ardent, fou, de cette maternité qu'elles ignorent ; les entrailles délaissées de la femme se révoltent et si plein qu'il soit de Dieu, son coeur éclate, l'enfant Jésus qu'elles ont tant aimé leur apparaît alors si inaccessible et si loin d'elles ! Puis sa vue même les consolerait à peine, car elles rêveraient de le tenir dans leurs bras, de l'emmaillotter, de le bercer, de lui donner le sein, de faire, en un mot, oeuvre de mère.
D'autres nonnes ne subissent, elles, aucune attaque précise, aucun siège que l'on connaisse ; seulement sans cause définie, elles languissent, meurent tout à coup comme un cierge sur lequel on souffle. C'est l'acedia des cloîtres qui les éteint.
- Mais savez-vous, Monsieur L'Abbé, que ces détails sont peu encourageants…
Le prêtre haussa les épaules. - C'est le médiocre revers d'un endroit sublime, dit-il ; les récompenses qui sont accordées, même sur cette terre, aux âmes conventuelles sont si supérieures !
- Enfin je ne suppose pas que lorsqu'une religieuse s'abat, frappée dans sa chair, on l'abandonne. Que fait alors une mère abbesse ?
- Elle agit suivant le tempérament corporel et suivant la complexion d'âme de la malade. Remarquez qu'elle a pu la suivre pendant les années de la probation ; qu'elle a forcément pris un ascendant sur elle ; elle doit donc, dans ces moments, surveiller de très près sa fille, s'efforcer de détourner le cours de ses idées, en la brisant par de pénibles travaux et en lui occupant l'esprit ; elle doit ne pas la laisser seule, diminuer au besoin ses prières, restreindre ses heures d'office, supprimer les jeûnes, la nourrir, s'il le faut, mieux. Dans d'autres cas, au contraire, elle peut recourir à de plus fréquentes communions, pratiquer la minution ou la saignée, lui faire ingérer des aliments auxquels sont mêlées des semences froides ; mais elle doit surtout prier, ainsi que toute la communauté, pour elle.
Une vieille abbesse de Bénédictines, que j'ai connue à Saint-Omer et qui était une incomparable régisseuse d'âmes, limitait surtout alors la durée des confessions. Aux moindres symptômes qu'elle voyait poindre, elle accordait deux minutes, montre en main, à la pénitente ; et quand ce temps était écoulé, elle la renvoyait du confessionnal et la mêlait à ses compagnes.
- Et pourquoi cela ?
- Parce que, dans les cloîtres, même pour les âmes bien portantes, la confession est l'amollissement le plus dangereux ; c'est, en quelque sorte, un bain trop prolongé et trop chaud. Là, les moniales débordent, se déploient inutilement le coeur, s'appesantissent sur leurs maux, les exaspèrent en s'y complaisant ; elles en sortent plus débilitées, plus malades qu'auparavant. Deux minutes doivent, en effet, suffire à une religieuse pour énoncer ses peccadilles !
Puis… puis… il faut bien l'avouer, le confesseur est un péril pour le monastère-non que je suspecte son honnêteté, ce n'est point cela que je veux dire-mais comme il est généralement choisi parmi les protégés de l'évêque, il existe de nombreuses chances pour qu'il soit un homme qui ne sache rien et qui, ignorant absolument le maniement de telles âmes, achève de les détraquer, en les consolant. Ajoutez encore que si les attaques démoniaques, très fréquentes dans les cloîtres, se produisent, le malheureux reste bouche béante, conseille à tort et à travers, entrave l'énergie de l'abbesse qui est
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