En Route
Louis du Temple".
- Parce que, répliqua l'abbé, leur premier couvent a été fondé sur les ruines mêmes de la prison du Temple qui leur furent concédées par ordonnance royale, lorsque Louis XVIII revint en France.
Leur fondatrice et leur supérieure fut Louise Adélaïde de Bourbon Condé, une malheureuse et nomade princesse dont presque toute la vie s'était écoulée dans l'exil. Chassée de France par la Révolution et par l'Empire, traquée dans presque tous les pays de l'Europe, elle erra au hasard des monastères, cherchant abri, tantôt chez les annonciades de Turin et chez les capucines du Piémont, tantôt chez les trappistines de la Suisse et chez les soeurs de la visitation de Vienne, tantôt encore chez les bénédictines de la Lithuanie et de la Pologne. Elle avait fini par échouer chez les bénédictines du comté de Norfolk, lorsqu'elle put rentrer en France.
C'était une femme singulièrement aguerrie dans la science monastique et très experte à diriger les âmes.
Elle voulut que, dans son abbaye, chaque soeur s'offrit au ciel en réparation des crimes commis et qu'elle acceptât les plus pénibles privations pour racheter ceux qui pourraient se commettre ; elle y installa l'adoration perpétuelle et y introduisit également dans toute sa pureté et, à l'exclusion de tout autre, le plain-chant.
Il s'y est, vous avez pu l'entendre, conservé intact ; il est vrai que, depuis elle, ses religieuses ont reçu des leçons de Dom Schmitt, l'un des moines les plus doctes en cette matière.
Enfin, après la mort de la princesse, qui eut lieu en 1824, je crois, on reconnut que son cadavre exhalait l'odeur de sainteté et, bien qu'elle n'ait pas été canonisée, son intercession est invoquée par ses filles, dans certains cas. C'est ainsi, par exemple, que les bénédictines de la rue Monsieur s'adressent à elle lorsqu'elles ont perdu un objet et l'expérience démontre que leur prière n'est jamais vaine, que presque aussitôt l'objet égaré se retrouve.
Mais, continua l'abbé, puisque vous aimez tant ce monastère, allez-y, surtout lorsqu'il resplendit. Et le prêtre se leva et prit une Semaine religieuse qui traînait sur sa table.
Il la feuilleta. Tenez, dit-il, et il lut : "Dimanche, à trois heures, vêpres chantées ; cérémonie de vêture, présidée par le Révérendissime Père Dom Etienne, abbé de la Grande Trappe, et Salut."
- Le fait est que voilà une cérémonie qui m' intéresse !
- J'irai probablement aussi.
- Alors, nous pourrions nous rejoindre dans la chapelle.
- Parfaitement.
- Les prises d'habits n'ont plus aujourd'hui la gaieté qu'elles avaient au dix-huitième siècle, dans certains instituts de bénédictines, entre autres dans l'abbaye de Bourbourg, en Flandre, reprit l'abbé, en souriant, après un silence.
Et comme Durtal l'interrogeait du regard.
- Mais oui, c'était sans tristesse ou c'était du moins d'une tristesse bien spéciale, jugez-en. La veille du jour où la postulante devait prendre l'habit, elle était présentée à l'abbesse du Bourbourg par le gouverneur de la ville. On lui offrait du pain et du vin et elle y goûtait dans l'église même. Le lendemain, elle se rendait, vêtue d'habits magnifiques, dans un bal où se tenait toute la communauté des religieuses et, là, elle dansait, puis elle demandait à ses parents de la bénir et elle était conduite, au son des violons, dans la chapelle où l'abbesse prenait possession d'elle. Elle avait, pour la dernière fois, vu, dans ce bal, les joies du monde, car elle était ensuite enfermée, pour le restant de ses jours, dans le cloître.
- C'est d'une allégresse macabre, fit Durtal ; il dut y avoir autrefois des coutumes monacales et des congrégations bizarres, reprit-il.
- Sans doute, mais cela se perd dans la nuit des temps. Il me revient à la mémoire pourtant qu'au quinzième siècle, il existait, sous l'obédience de saint Augustin, un ordre en effet étrange qui s'appelait l'ordre des filles de saint Magloire et habitait, dans la rue Saint-Denis, à Paris. Les conditions d'admission étaient au rebours de celles des autres chartes. La postulante devait jurer sur les saints evangiles qu'elle avait perdu sa virginité et l'on ne s'en rapportait pas à son serment ; on la visitait et si elle était sage, on la déclarait indigne d'être reçue. On s'assurait également qu'elle ne s'était pas fait déflorer exprès pour pénétrer dans le couvent, 9 mais qu'elle s'était bel et
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