En Route
fonctions de sages-femmes et assistèrent, vivants, sous une forme humaine, aux couches de la Vierge !
C'est tout de même un peu fort ! - je sais bien ce que répond l'abbé, qu'il n'y a pas à tenir compte de ces étrangetés et de ces erreurs, mais qu'il faut lire la Cité mystique au point de vue de la vie intérieure de la Sainte Vierge. - Oui, mais alors le livre de M. Olier, qui traite le même sujet, me paraît autrement curieux, autrement sûr !
Ce prêtre forçait-il la note, jouait-il un rôle ? Durtal se le demandait, en voyant sa ténacité à ne pas s'écarter pendant un certain temps des mêmes questions. Il essayait quelquefois, pour le tâter, de détourner la conversation, mais doucement l'abbé souriait et la ramenait là où il voulait qu'elle fût.
Quand il crut avoir saturé Durtal d'oeuvres mystiques, il en parla moins et il parut ne plus s'éprendre que des ordres religieux, surtout de l'ordre de saint Benoît. Très habilement, il incita Durtal à s'intéresser à cet institut, à l'interroger, et, une fois bien installé sur ce terrain, il n'en démarra plus.
Cela commença un jour où Durtal causait avec lui du plain-chant.
- Vous avez raison de l'aimer, dit l'abbé, car même en dehors de la liturgie et de l'art, ce chant, si j'en crois saint Justin, apaise les attraits et les concupiscences de la chair, "affectiones et concupiscentias carnis sedat" ; mais laissez-moi vous l'assurer, vous ne le connaissez que par ouï-dire ; il n'y a plus maintenant de vrai plain-chant dans les églises ; ce sont, ainsi que pour les produits de la thérapeutique, des frelatages plus ou moins audacieux qu'on vous présente.
Aucun des chants à peu près respectés par les maîtrises - le Tantum ergo par exemple - n'est désormais exact. Il demeure presque fidèle jusqu'au verset Praestet fides et là il déraille ; il ne tient pas compte des nuances très perceptibles pourtant que la mélodie grégorienne impose à ce moment où le texte avoue l'impotence de la raison et l'aide toute-puissante de la foi ; ces adultérations sont plus sensibles encore si vous écoutez, après l'office des Complies, le Salve, Regina. celui-là, on l'abrège de plus de moitié, on l'énerve, on le décolore, on l'ampute de ses neumes, on en fait un moignon de musique ignoble ; si vous aviez entendu ce chant magnifique dans les Trappes, vous pleureriez de dégoût, en l'écoutant braillé à Paris, dans les églises.
Mais en dehors même de l'altération du texte mélodique qui est maintenant acquise, la façon dont on beugle le plain-chant est partout absurde ! L'une des premières conditions pour le bien rendre, c'est que les voix marchent ensemble, qu'elles chantent toutes en même temps, syllabe pour syllabe et note pour note ; il faut l'unisson, en un mot.
Or, vous pouvez le vérifier, la mélodie grégorienne 0 n'est pas ainsi traitée : chaque voix fait sa partie et s'isole ; ensuite, la musique plane n'admet pas d'accompagnement : elle doit se chanter, seule et sans orgue ; tout au plus, peut-elle tolérer que l'instrument donne l'intonation et accompagne, en sourdine, juste assez, s'il est besoin, pour maintenir la ligne tracée des voix ; est-ce ainsi qu'on l'admet dans les églises ?
- Oui, je sais bien, répondit Durtal. Quand je l'écoute à Saint-Sulpice, à Saint-Séverin, à Notre-Dame-des-Victoires, je n'ignore pas qu'elle est sophistiquée, mais avouez qu'elle est encore superbe ainsi ! Je ne défends pas la supercherie, l'adjonction des fioritures, la fausseté des césures musicales, l'accompagnement délictueux, le ton de concert profane qu'on lui inflige à Saint-Sulpice, mais que voulez-vous que je fasse ? à défaut de l'original, je dois bien me contenter d'une copie plus ou moins vile et, je le répète, même exécutée de la sorte, cette musique est encore si admirable qu'elle m'enchante !
- Mais, fit tranquillement l'abbé, rien ne vous oblige à écouter du faux plain-chant, alors que vous pouvez en entendre du vrai ; car, ne vous déplaise, à Paris même, il existe une chapelle où il est intact et servi d'après les règles dont j'ai parlé.
- Tiens ! et où ça ?
- Chez les Bénédictines du Saint-Sacrement, rue Monsieur.
- Et tout le monde peut s'introduire dans ce couvent et assister aux offices ?
- Tout le monde, - pendant la semaine, on y chante les vêpres à trois heures, tous les jours, et la grand'messe se célèbre, le dimanche, à neuf
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