En Route
miséricordieux l'avait secouru près de l'étang, méditait attentivement sur son paroissien l'office. Il devait être âgé de vingt ans, était grand et robuste ; la figure un peu fatiguée était tout à la fois mâle et tendre, avec ses traits émaciés et sa barbe blonde qui rebroussait sur la robe, en pointe.
Durtal s'abandonna dans cette chapelle où chacun mettait un peu du sien pour l'adjuver et, songeant à la confession qu'il allait faire, il supplia le seigneur de le soutenir, il l'implora pour que le moine voulût bien le déplier.
Et il se sentit moins apeuré, plus maître de soi, plus ferme. Il se collationnait et se groupait, éprouvait une douloureuse confusion, mais il n'avait plus ce découragement qui l'avait abattu, la veille. Il se remontait avec cette idée qu'il ne se délaissait pas, qu'il s'aidait de toutes ses forces, qu'il ne pouvait, dans tous les cas, se rassembler mieux.
Il fut distrait de ces réflexions par le départ du vieux trappiste qui avait fini d'offrir le sacrifice, et par l'entrée du prieur qui monta entre deux pères blancs dans la rotonde, au maître-autel, pour dire la messe.
Durtal s'absorba dans son eucologe, mais après que le prêtre eut consommé les espèces, il cessa de lire, car tous se levaient et il béa, confondu, devant un spectacle dont il ne se doutait même pas, une communion de moines.
Ils s'avançaient, un à un, muets et les yeux bas, puis arrivé devant l'autel, celui qui marchait le premier se retournait et embrassait le camarade qui venait après lui ; celui-ci, à son tour, serrait dans ses bras le religieux qui le suivait et il en était ainsi jusqu'au dernier. Tous, avant que d'aller recevoir l'Eucharistie, échangeaient le baiser de paix, puis ils s'agenouillaient, communiaient et ils revenaient encore, un à un, en tournant dans la rotonde derrière l'autel.
Et le retour de ces gens était inouï ; les pères blancs en tête, ils s'acheminaient très lentement, les yeux fermés et les mains jointes. Les figures avaient quelque chose de modifié ; elles étaient éclairées autrement, en dedans ; il semblait que, refoulée par la puissance du sacrement contre les parois du corps, l'âme filtrât, au travers des pores, éclairât l'épiderme de cette lumière spéciale de la joie, de cette sorte de clarté qui s'épand des âmes blanches, file ainsi qu'une fumée presque rose le long des joues et rayonne, en se concentrant, au front.
A considérer l'allure mécanique et hésitante de ces moines, l'on devinait que les corps n'étaient plus que des automates, exécutant par habitude leur mouvement de marche, que les âmes ne se souciaient plus d'eux, étaient ailleurs.
Durtal reconnaissait le vieux convers maintenant si courbé que son visage disparaissait dans sa barbe relevée par la poitrine et ses deux grosses mains noueuses tremblaient, en s'étreignant ; il apercevait aussi le jeune et grand frère, les traits tirés dans une face dissoute, glissant à petits pas, sans yeux.
Fatalement, il délibéra sur lui-même. Il était le seul qui ne communiait pas, car il voyait, sortant le dernier derrière l'autel, M. Bruno qui rejoignait, les bras croisés, sa place.
Cette exclusion lui faisait si clairement comprendre combien il était différent, combien il était éloigné de ce monde-là ! Tous étaient admis et, lui seul, restait. Son indignité s'attestait davantage et il s'attristait d'être mis à l'écart, traité, ainsi qu'il le méritait, en étranger, séparé de même que le bouc des ecritures, parqué, loin des brebis, à la gauche du Christ.
Ces remarques lui furent saines, car elles dissipèrent la terreur de la confession qui s'affirmait encore. Cet acte lui parut si naturel, si juste, dans sa nécessaire humiliation, dans son indispensable souffrance, qu'il eût voulu l'accomplir tout de suite et pouvoir se représenter dans cette chapelle, émondé, lavé, devenu au moins un peu plus semblable aux autres.
Quand la messe prit fin, il se dirigea vers sa cellule pour y chercher une tablette de chocolat.
En haut de l'escalier, M. Bruno, enveloppé d'un grand tablier, s'apprêtait à nettoyer les marches.
Durtal l'examinait, surpris. L'oblat sourit et lui serra la main.
- C'est une excellente besogne pour l'âme, fit-il, en montrant son balai ; cela vous rappelle aux sentiments de modestie que l'on est trop enclin à oublier, lorsqu'on a vécu dans le monde.
Et il se mit à frotter vigoureusement et à
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