Enfance
n’est pas moi qui ai pensé ça. Mais il n’y a rien à faire, la fourrure d’un singe aperçu dans la cage du jardin d’acclimatation est venue, je ne sais comment, se poser sur le cou, sur les bras de maman et voici l’idée… elle me fait mal…
J’appelle maman au secours, il faut qu’elle me soulage… « Tu sais maman j’ai maintenant une autre idée… Elle a l’air aussitôt agacée… – Qu’est-ce que c’est encore ? – Eh bien, je pense… que tu as… la peau d’un singe… » elle va regarder ce que j’ai là, ce qui a poussé en moi, malgré moi, nous allons le regarder ensemble… c’est si ridicule, grotesque… on ne peut que s’en moquer, elle va éclater de son rire qui me fait toujours rire avec elle, nous en rirons toutes les deux et l’idée s’en ira là d’où elle est venue… là où elle est née… quelque part hors de moi, dans un lieu que je ne connais pas… Ou encore maman dira : « Eh bien, j’en suis ravie. Tu te souviens comme ils étaient mignons, ces petits singes. »
— Une réponse que tu imagines maintenant…
— Bien sûr… mais j’attendais sans pouvoir l’imaginer exactement quelque chose de cet ordre… qui m’apporterait aussitôt l’apaisement… Mais maman a un rire méprisant et elle me dit : « Eh bien, je te remercie… On n’est pas plus gentil… »
Je ne crois pas que j’aie jamais été plus seule avant cela – ni même après. Aucune aide à attendre de personne… Livrée sans défense aux « idées ». Un terrain propice sur lequel elles pouvaient faire tout ce qu’elles voulaient, elles s’ébattaient, s’appelaient entre elles et il en venait toujours d’autres… toutes étaient la preuve indubitable que je n’étais pas un enfant qui aime sa mère. Pas comme doit être un enfant.
Le mal était en moi. Le mal m’avait choisie parce qu’il trouvait en moi l’aliment dont il avait besoin. Il n’aurait jamais pu vivre dans un esprit sain et pur d’enfant comme celui que les autres enfants possèdent.
Quand je me tiens renfrognée dans un coin et que maman me demande… mais peut-être que je me tiens ainsi ostensiblement pour qu’elle le remarque et qu’elle me pose la question… « Qu’est-ce que tu as encore ? Pourquoi est-ce que tu ne joues pas ? Pourquoi ne lis-tu pas ?… » je lui réponds seulement… et c’est quand même un soulagement : « J’ai mes idées. »
Comme on dit : « J’ai mes douleurs. J’ai ma migraine », mais avec cette différence que c’est là un mal honteux, un mal secret, qu’elle seule connaît. Il n’est pas possible que je le confie à quelqu’un d’autre.
Je ne me souviens plus de toutes les idées folles, saugrenues qui sont venues m’habiter… seulement de la dernière, elle a fort heureusement précédé de peu mon départ, ma séparation d’avec ma mère, qui a mis fin brutalement à ce qui en se développant risquait de devenir une véritable folie…
Elle a été, cette dernière idée-là, de loin la plus cruelle de toutes… Elle a dû se glisser en moi un soir quand j’étais à la cuisine, probablement en train de jouer avec les bonnes au quatuor des écrivains. J’ai entendu Gacha dire à mots couverts aux deux autres : « Elle »… et je savais que ce « elle » désignait maman… « elle est en somme très bien, elle ne crie jamais, elle est polie, et pour ce qui est de la nourriture, il n’y a pas à se plaindre, sauf pour la viande… Tu as vu ces morceaux ?… » et puis c’est passé, ça m’a juste traversée rapidement sans laisser aucune trace apparente… Et voilà qu’à table, au moment où Gacha tendait comme toujours son assiette à maman pour qu’elle y dépose les parts de viande destinées à « la cuisine », j’ai vu… je n’ai pas osé regarder Gacha, j’avais peur de surprendre son regard posé sur l’assiette où maman déposait… oui, il n’y avait pas moyen de s’y tromper… les morceaux étaient plus petits que les autres, il y avait dessus davantage de gras… Et aussitôt « l’idée » était là : maman ne traite pas bien Gacha… pourtant si pâle… et non plus l’autre bonne…
Cette fois, l’idée n’est plus de celles qu’il m’est possible de révéler même à maman. Je ne peux plus, si elle me le demande, lui répondre : J’ai mes idées… dans l’espoir qu’elle sera de bonne humeur et me dira : Allons qu’est-ce que c’est ? Et que je
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