Enfance
pouffons… Madame Agafonoff dit : « Ah, tu vois Micha, toi un jour tu te feras écraser… » Je dis sentencieusement : « Oui, Micha, c’est ce qui t’attend. Et aussi tu seras un jour guillotiné… Quand j’ai raconté à Pierre tout ce que tu fabriquais… – Tu n’as pas fait ça ? – Si, je lui ai raconté… » je peux en parler devant sa mère… rien ne l’attendrit autant… Micha a volé un bouquet à la devanture d’une fleuriste pour le lui offrir pour son anniversaire, et après quand il a avoué, quand il l’a rapporté, la fleuriste le lui a donné pour rien, et il est revenu avec le bouquet… « je lui ai raconté que tu as volé… – Qu’est-ce qu’il a dit ? – Il a fait les gros yeux, il a dit c’est horrible… » Je marche comme Pierre, comme si je tenais une canne à la main… Puis je m’imite gambadant autour de lui comme un petit chien, faisant le beau pour obtenir un petit sourire… faisant la mendiante : Mon bon monsieur, juste un sourire… Mais il ne veut pas… J’invente encore je ne sais plus quoi, nous pleurons de rire, Madame Agafonoff s’essuie les yeux avec son petit mouchoir… « Ça suffit maintenant, les enfants, allez faire un tour… – Mais pas au parc Montsouris, maman… » Micha s’approche de sa mère, il a mon âge, mais il est très fort, et elle toute frêle… elle étend les mains devant elle d’un air apeuré… « Non, non, ne me touche pas, tu vas m’écraser », elle rit de tendresse, il la serre dans ses bras doucement, et nous partons.
Monsieur Agafonoff, un superbe bon géant, nous croise dans l’entrée. « Où allez-vous encore traîner vos chausses ? » Il prend Micha par les oreilles et fait semblant de le soulever… « Ah, petit chenapan… Il me dit : Fais attention. Dieu sait quelle idée folle peut lui passer par la tête, à ce crétin… » Mais il sait, je sais aussi que rien de mal ne peut m’arriver tant que je suis avec Micha…
Nous allons sur notre terrain de chasse, l’avenue d’Orléans, et nous commençons notre concours. Le gagnant sera celui qui recueillera des mains des camelots le plus de prospectus. Chacun chasse sur un trottoir. Puis change de trottoir avec l’autre. Il est interdit de redemander le même au même camelot et de ramasser ceux qui sont par terre. Puis nous rentrons chez Micha et installés dans sa chambre nous comptons notre butin : des piles de prospectus blancs, jaunes, bleus, roses…
— Que recevait le gagnant ?
— Je ne m’en souviens pas. Rien d’autre, il me semble, que la satisfaction de la victoire.
Lili est installée sur une chaise rehaussée par des coussins devant la table de la salle à manger recouverte pendant ses repas d’une toile cirée blanche. Elle tend son petit bras maigre vers le cordon de la sonnette qui pend de la suspension, ses yeux sont écarquillés, elle crie d’une voix stridente « Ça balance ! ça balance ! » Véra assise auprès d’elle saisit le cordon pour l’immobiliser… il est pourtant déjà tout à (ait immobile… mais cela ne calme pas Lili ; elle continue à crier « Ça balance ! » Alors Véra enroule le cordon autour de la suspension… et puis elle prend avec une cuiller un peu de nourriture dans l’assiette et l’approche de la bouche de Lili… « Mange, mon petit lapin… elle l’appelle ainsi ou encore : Mon petit lapin blanc… tu dois le manger, c’est bon pour toi… » Ce qu’elle essaie de lui faire avaler, c’est de la cervelle… il n’y a que Lili qui a le droit d’en avoir, elle est si fragile, il lui faut ce mets fortifiant et délicat… Moi, c’est la gentille grosse bonne qui un jour à la cuisine m’en a fait goûter un petit morceau… Elle essaie parfois ainsi de réparer comme elle peut des injustices qui l’indignent… « Ici, il n’y en a que pour la petite…
C’est comme pour les bananes, vous me croirez si vous voulez, elles sont cachées en haut du placard à linge, derrière la pile de draps, pour que la grande n’en prenne pas… Si c’est pas malheureux de voir ça… » Je ne sais plus à qui elle parlait, mais je me souviens que c’est ainsi que m’a été révélé quelque chose de stupéfiant et que je ne soupçonnais pas : l’existence de cette cachette.
J’ai cette chance, la cervelle grise, laiteuse et molle ne me plaît pas… et les bananes, si j’en ai envie, je peux m’en acheter avec mon argent de
Weitere Kostenlose Bücher