Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
applaudir, fit des courbettes, des sourires, puis enchaîna sur de nouvelles insultes. Enfin, il se rassit, laissant son pauvre interprète, fort perplexe, prendre sa place. Le jeune officier n’avait préparé qu’une courte traduction, avec deux ou trois formules amicales. En corsant le tout de quelques métaphores indiennes, un peu éculées certes, il provoqua l’enthousiasme du public qui, debout, fit une ovation à Sitting Bull. Le chef hunkpapa devint si populaire que les représentants de la compagnie ferroviaire l’entraînèrent à St. Paul pour une autre cérémonie.
L’été suivant, le Secrétaire à l’Intérieur autorisa Sitting Bull à faire une tournée dans quinze villes américaines. Ses apparitions firent tellement sensation que William F. Cody, alias Buffalo Bill, décida qu’il lui fallait absolument le célèbre chef hunkpapa dans son spectacle, le Wild West Show. Le Bureau des Affaires indiennes fut tout d’abord réticent, mais lorsque l’on demanda l’avis de McLaughlin, ce dernier se montra enthousiaste. Mais bien sûr que Sitting Bull pouvait partir avec le Wild West Show ! À Standing Rock, le chef était un symbole de la résistance indienne, un défenseur acharné de cette culture indienne dont McLaughlin rêvait de se débarrasser. S’il n’avait tenu qu’à lui, Sitting Bull serait parti en tournée jusqu’à la fin de ses jours.
C’est ainsi que l’été 1885, Sitting Bull rejoignit le Wild West Show de Buffalo Bill dans sa tournée américaine et canadienne. Il attira des foules immenses. Après chaque spectacle, les mêmes personnes qui avaient hué et sifflé le « Tueur de Custer » se pressaient autour de lui pour lui acheter une photo dédicacée. Sitting Bull donna la majeure partie de l’argent récolté à la bande de garçons affamés et en guenilles qui ne le quittaient pas d’une semelle. Un jour, il raconta à Annie Oakley, une autre star du Wild West Show, qu’il ne comprenait pas que les Blancs se montrent aussi indifférents envers leurs pauvres. « Le Blanc sait tout faire, déclara-t-il, mais il ne sait pas partager. »
La saison terminée, il retourna à Standing Rock avec deux cadeaux d’adieu de la part de Buffalo Bill – un immense sombrero et un cheval de cirque qui avait appris à s’asseoir et à lever un sabot en l’air lorsqu’il entendait un coup de feu.
En 1887, Buffalo Bill proposa à Sitting Bull de l’accompagner pour une tournée européenne. Le chef déclina l’invitation.
« Mon peuple a besoin de moi ici, expliqua-t-il. On parle de nouveau de nous prendre nos terres. »
Les rumeurs se concrétisèrent l’année suivante, avec l’arrivée d’une commission envoyée par Washington pour proposer la division de la Grande Réserve Sioux en six réserves plus petites, ce qui permettait de gagner quatre millions d’hectares pour la colonisation. La commission offrait aux Indiens cinquante cents par demi-hectare. Sitting Bull entreprit immédiatement de convaincre Gall et John Grass qu’une telle escroquerie était inacceptable et que les Sioux ne pouvaient pas se passer de ces terres. Pendant presque un mois, les délégués de Washington s’efforcèrent de persuader les Indiens de Standing Rock que Sitting Bull les induisait en erreur, que la cession serait une bonne chose pour eux, et que s’ils n’acceptaient pas, ils risquaient de toute façon de perdre ces terres. À l’agence de Standing Rock, seuls vingt-deux Sioux signèrent. À celles de Crow Creek et de Lower Brûlé, la commission n’obtint pas le quota de signatures nécessaire. Renonçant à se rendre à Pine Ridge et Rosebud, les délégués rentrèrent à Washington. D’après eux, le gouvernement devait ignorer le traité de 1868 et s’emparer des terres sans le consentement des Indiens.
Il se trouve qu’en 1888, Washington hésitait encore à abroger un traité. Par contre, l’année suivante, le Congrès envisagea la chose, si elle s’avérait nécessaire. Toutefois, il aurait été préférable que les Indiens, poussés par la crainte de devoir céder leurs terres sans contrepartie, se résignent à vendre une large portion de leur réserve. Si ce plan marchait, le gouvernement n’aurait alors même pas à rompre le traité.
Sachant que les Indiens faisaient confiance au général Crook, le gouvernement persuada ce dernier que les Sioux perdraient tout s’ils n’acceptaient pas le découpage de leur réserve. Crook accepta
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