Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
quelques instants, il se leva et s’adressa à la foule attentive en ces termes : « Je vous ai envoyé chercher et je suis heureux de vous voir. Tout à l’heure, je vous parlerai de vos parents morts qui sont partis loin. Mes enfants, je veux que vous écoutiez ce que j’ai à vous dire. Je vais vous apprendre une danse, et quand celle-ci sera terminée, je vous dirai quelque chose. » Il se mit alors à danser et tout le monde l’imita. Son chant s’éleva. La danse des Esprits ne se termina que tard dans la nuit. Les Indiens avaient suffisamment dansé, leur dit le Messie.
Le lendemain matin, Kicking Bear et les autres s’approchèrent du Messie pour voir si son corps portait les marques de crucifixion dont les missionnaires leur avaient parlé. Il avait bien une cicatrice sur son poignet et une autre sur son visage, mais comme il portait des mocassins, les Indiens ne purent voir ses pieds. Il leur parla jusqu’au soir. Au commencement, dit-il, Dieu créa la terre, puis il envoya le Christ sur terre pour enseigner la bonne parole, mais les Blancs le maltraitèrent, marquèrent son corps de cicatrices, si bien qu’il retourna au ciel. À présent, il redescendait sur terre en tant qu’indien, et grâce à lui, tout allait redevenir comme autrefois, mieux qu’autrefois.
Au printemps suivant, quand l’herbe serait à hauteur de genoux, la terre, régénérée, ensevelirait tous les Blancs, puis se couvrirait d’une herbe douce, de rivières et d’arbres. Les immenses troupeaux de bisons et de mustangs reviendraient. Les Indiens qui prenaient part à la danse des Esprits seraient emportés et flotteraient dans les airs tandis qu’une nouvelle vague de terre recouvrirait tout, et alors ils descendraient retrouver les esprits de leurs ancêtres sur cette terre nouvelle, où seuls des Indiens pourraient vivre.
Kicking Bear et ses amis passèrent quelques jours à Walker Lake, au cours desquels ils apprirent la danse des Esprits. Puis ils repartirent à cheval vers la ligne de chemin de fer. Le Messie les accompagna en volant au-dessus d’eux et en leur apprenant des chants pour la nouvelle danse. Quand ils arrivèrent au train, il les quitta en leur demandant de retourner parmi leurs frères et de leur enseigner ce qu’ils avaient appris. Une fois l’hiver passé, il ramènerait les esprits de leurs pères pour leur permettre de les retrouver après la nouvelle résurrection.
À leur retour dans le Dakota, Kicking Bear enseigna la nouvelle danse à Cheyenne River, Short Bull à Rosebud et les autres à Pine Ridge. La tribu des Miniconjous de Big Foot était composée en majorité de femmes qui avaient perdu qui un mari, qui un père ou un frère lors des combats contre Custer, Miles ou Crook. Elles dansèrent jusqu’à l’évanouissement dans l’espoir de ramener sur terre les guerriers morts.
Sitting Bull écouta Kicking Bear lui raconter ce qu’il savait sur le Messie et la danse des Esprits. Il ne croyait pas possible que des morts puissent revenir à la vie, mais les membres de sa tribu avaient entendu parler du Messie et craignaient que celui-ci ne les néglige et les laisse disparaître s’ils ne participaient pas à la danse, ce à quoi le chef hunkpapa ne voyait aucune objection. Par contre, on lui avait dit que sur certaines réserves, les agents faisaient venir des soldats pour interrompre les cérémonies. Il ne voulait surtout pas que l’armée vienne semer la panique parmi les siens et peut-être même leur tire dessus. Kicking Bear lui expliqua alors que si les Indiens portaient les vêtements sacrés du Messie – des chemises sur lesquelles étaient peints des symboles magiques – il ne leur arriverait aucun mal. Même les balles des Tuniques Bleues ne parviendraient pas à transpercer une chemise sacrée.
Un peu sceptique tout de même, Sitting Bull invita Kicking Bear à rester quelque temps avec les Hunkpapas à Standing Rock afin de leur enseigner la danse des Esprits. Nous étions à la Lune-où-les-feuilles-tombent. Sur pratiquement toutes les réserves indiennes de l’Ouest, la danse des Esprits se répandait tel un feu de prairie poussé par le vent. Du Dakota à l’Arizona, du Territoire Indien au Nevada, les inspecteurs du Bureau des Affaires indiennes et les officiers de l’armée se demandèrent avec inquiétude quelle était la signification profonde de toute cette agitation. Et dès l’automne, la consigne officielle tomba : il fallait mettre un terme
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