Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
Charlie, ainsi qu’Edmond Guerrier, son gendre, métis lui aussi, campaient avec les Cheyennes à Sand Creek.
À son arrivée à Fort Lyon, le colonel Chivington fut chaleureusement accueilli par Anthony. Il avait bien l’intention, dit-il, de « collectionner les scalps » et de « patauger dans des mares de sang », ce à quoi Anthony répondit qu’il attendait depuis longtemps « l’occasion de leur tomber dessus » et qu’à Fort Lyon, tous les hommes étaient impatients de se joindre à l’expédition menée par Chivington contre les Indiens.
Pourtant, les officiers d’Anthony n’étaient pas tous impatients, loin de là, de participer au massacre soigneusement préparé par Chivington. Le capitaine Silas Soule et les lieutenants Joseph Cramer et James Connor se rebiffèrent, rappelant qu’attaquer le paisible campement de Black Kettle reviendrait à rompre l’engagement pris par Wynkoop et Anthony de garantir la sécurité des Indiens, qu’« il s’agirait de meurtre dans tous les sens du terme » et que tout officier y participant déshonorerait l’uniforme.
Chivington se mit alors dans une rage folle. Menaçant le lieutenant Cramer du poing, il hurla : « Qu’ils aillent au diable, ceux qui font ami-ami avec les Indiens ! Je suis venu pour en tuer, et je suis convaincu qu’avoir recours pour cela à tous les moyens mis à notre disposition par Dieu est une action honorable et juste. »
Soule, Cramer et Connor durent se résoudre à participer à l’expédition pour éviter la cour martiale. Mais ils décidèrent intérieurement de ne pas ordonner à leurs hommes de tirer sur les Indiens, sauf pour se défendre.
Le 28 novembre, à huit heures du soir, les forces de Chivington, qui comptaient à présent plus de sept cents hommes grâce à l’adjonction des troupes d’Anthony, sortirent du fort par colonnes de quatre. Quatre obusiers de montagne à pièces de canon de douze complétaient l’armement des cavaliers. Les étoiles brillaient dans le ciel dégagé. L’air de la nuit était d’un froid mordant.
Chivington enrôla comme guide James Beckwourth, un mulâtre de soixante-neuf ans qui avait passé cinquante ans de sa vie avec les Indiens. Beckwourth tenta bien de se faire excuser, mais Chivington menaça de le pendre s’il refusait de le guider jusqu’au campement des Cheyennes et des Arapahos.
Au fil de la progression des troupes, il devint évident que la vue faiblissante de Beckwourth et ses rhumatismes en faisaient un guide peu efficace. Chivington décida donc de s’arrêter à un ranch situé près de Spring Bottom et ordonna qu’on tire le propriétaire de son lit afin qu’il remplace le vieux guide. Ce propriétaire de ranch n’était autre que Robert Bent, le fils aîné de William Bent. Ainsi, les trois fils de Bent, tous à moitié cheyennes, n’allaient pas tarder à se retrouver à Sand Creek.
Le campement cheyenne était établi au nord du lit presque sec d’un ruisseau, au creux d’un méandre en forme de fer à cheval. Black Kettle avait installé son tipi près du centre du village, avec la bande de White Antelope et War Bonnet un peu plus à l’ouest. À l’est, légèrement à l’écart des Cheyennes, se trouvait le camp arapaho de Left Hand. En tout, il devait y avoir là à peu près six cents Indiens, pour les deux tiers des femmes et des enfants. La plupart des guerriers étaient partis chasser le bison vers l’est, ainsi que le leur avait demandé Anthony.
Les Indiens se méfiaient si peu qu’à part l’enclos des mustangs près du ruisseau, leur camp n’était pas surveillé la nuit. Seuls les martèlements des sabots des chevaux sur le sable les avertirent au lever du soleil de l’attaque imminente. « Je dormais dans un tipi, devait raconter par la suite Edmond Guerrier, lorsque j’entendis certaines des squaws dire que des bisons allaient envahir le village. D’autres parlaient de soldats. » Guerrier sortit immédiatement et se dirigea vers la tente de Couver-ture-grise Smith.
George Bent dormait encore quand il entendit des gens crier et courir dans le camp. « Un groupe de soldats venus du ruisseau avançait au trot. (…) On en voyait d’autres s’approcher de nos mustangs. Dans le village même, tout n’était que confusion et cris – des hommes, des femmes et des enfants qui sortaient en courant des tipis à moitié habillés ; des femmes et des enfants qui hurlaient en voyant les soldats ; des hommes
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