Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
manière bienveillante qu’avait Wynkoop de traiter les Indiens ne tarda pas à lui attirer les critiques des autorités militaires du Colorado et du Kansas. On lui reprocha d’avoir emmené les chefs à Denver sans autorisation, et on l’accusa de « laisser les Indiens tout régenter à Fort Lyon ». Le 5 novembre, le chef d’escadron Scott J. Anthony, l’un des officiers de Chivington dans le régiment des volontaires du Colorado, arriva à Fort Lyon avec pour consigne de le remplacer en tant que commandant du poste militaire.
L’un des premier ordres d’Anthony fut de réduire les rations des Arapahos et d’exiger d’eux qu’ils donnent leurs armes. Les Indiens lui remirent trois fusils, un pistolet, soixante arcs et un certain nombre de flèches. Quelques jours plus tard, un groupe d’Arapahos non armés s’approcha du fort, avec l’intention de troquer des peaux de bison contre des vivres. Anthony ordonna à ses gardes de leur tirer dessus, et se mit à rire en voyant les Indiens faire demi-tour et s’enfuir. Ils lui avaient causé suffisamment de tracas comme cela, fit-il remarquer à l’un de ses hommes, et c’était le seul moyen de s’en débarrasser.
En parlant avec des Arapahos, les Cheyennes qui avaient établi leur campement à Sand Creek apprirent qu’un soldat hostile, de petite taille et aux yeux rouges, avait remplacé leur ami Wynkoop. À la Lune-des-cerfs-en-rut, c’est-à-dire mi-novembre, Black Kettle, accompagné d’un groupe de Cheyennes, se rendit au fort pour rencontrer le nouveau chef. Ce dernier, qui avait en effet les yeux rouges (à cause du scorbut), feignit l’amitié avec les Indiens. Plusieurs officiers présents lors de la rencontre entre Black Kettle et Anthony déclarèrent plus tard sous serment que ce dernier avait assuré aux Cheyennes la protection de Fort Lyon s’ils retournaient à leur village de Sand Creek. Il leur dit également que leurs jeunes braves pourraient aller chasser le bison dans la vallée de la Smoky Hill, à l’est, jusqu’à ce qu’il obtienne de l’armée l’autorisation de distribuer à la tribu des rations d’hiver.
Les chefs cheyennes, dont Black Kettle, avaient un temps envisagé de quitter l’Arkansas pour des régions plus au sud, afin d’être à l’abri des attaques des soldats. Mais après ces paroles rassurantes d’Anthony, ils se sentaient à présent en sécurité à Sand Creek et décidèrent d’y rester tout l’hiver.
La délégation cheyenne partie, Anthony ordonna aux bandes de Left Hand et de Little Raven, installées près de Fort Lyon, de quitter les lieux et de se disperser. « Allez chasser le bison pour vous nourrir », leur dit-il. Inquiétés par ces paroles brusques, les Arapahos levèrent le camp. Une fois éloignés des abords du fort, les deux groupes se séparèrent. Left Hand se dirigea avec son peuple vers Sand Creek afin d’y rejoindre les Cheyennes, tandis que Little Raven, qui se méfiait du chef aux yeux rouges, traversait l’Arkansas et gagnait le sud avec les siens.
« Une bande d’indiens s’est installée à soixante kilomètres du fort. (…) Je vais tenter de les faire tenir tranquilles en attendant de recevoir des renforts », dit alors Anthony à ses supérieurs.
Le 22 novembre, lorsque le négociant du fort, John « Couver-ture-Grise » Smith, demanda la permission de se rendre à Sand Creek afin d’y acheter des peaux, Anthony se montra étonnamment coopératif, lui fournissant, outre une ambulance de l’armée pour y transporter ses marchandises, un homme qui la conduirait, David Louderback, de la cavalerie du Colorado. Pour endormir la méfiance des Indiens et les empêcher de quitter les lieux, rien ne valait la présence d’un négociant et d’un représentant pacifique de l’armée.
Vingt-quatre heures plus tard, les renforts réclamés par Anthony pour attaquer les Indiens arrivèrent aux abords de Fort Lyon. Ils se composaient d’hommes appartenant aux régiments du colonel Chivington avec, pratiquement au complet, le 3 e , constitué par le gouverneur Evans dans le seul but de combattre les Indiens. Une fois le fort atteint, l’avant-garde le boucla, interdisant à quiconque d’en sortir sous peine d’être abattu. Pratiquement au même moment, un détachement de vingt cavaliers atteignit le ranch de William Bent, situé à quelques kilomètres à l’est, encercla la maison et en bloqua les accès. Les deux fils métis de Bent, George et
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