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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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pour toujours, car, une fois sérieusement endommagées par une catastrophe, on ne pourrait plus les reconstituer.
    C’est pourquoi l’attitude scientifique est une chose d’importance pour l’humanité, aussi bien pour le bien que pour le mal. Mais l’attitude scientifique a un caractère double, comme l’attitude artistique. Le créateur et celui qui apprécie l’œuvre d’art sont deux hommes différents et ils ont besoin chacun de différentes habitudes de l’esprit. Le créateur scientifique, comme tout autre, peut être inspiré par des passions auxquelles il donne une expression intellectualiste qui a sa source dans une foi indémontrable et sans laquelle il n’accomplirait probablement pas grand-chose. Celui qui juge son œuvre n’a pas besoin de cette espèce de foi ; il peut voir les choses selon leur juste mesure et faire les réserves nécessaires, et peut considérer le créateur comme une personne rude et barbare en comparaison avec lui-même. Quand la civilisation se répand et devient traditionnelle, les habitudes d’esprit des hommes qui jugent tendent à l’emporter sur les habitudes créatrices, et la conséquence c’est que la civilisation en question devient byzantine. Quelque chose de ce genre semble se passer actuellement dans la science. La simple foi qui avait soutenu les pionniers se décompose au centre de la civilisation. Des peuples de la périphérie, comme les Russes, les Japonais et les Jeunes Chinois saluent encore la science avec une ferveur digne du XVII e  siècle ; de même, la plus grande partie de la population des nations occidentales. Mais les grands-prêtres commencent à se lasser de l’adoration à laquelle ils se consacrent officiellement. Le pieux Luther, jeune, vénéra un Pape libre penseur qui avait permis de sacrifier un bœuf sur le Capitole pour remercier Jupiter de sa guérison. De même, de nos jours, ceux qui vivent loin des centres culturels ont pour la science une vénération que ne partagent plus ses augures. Le matérialisme « scientifique » des Bolchéviks, tout comme l’ancien protestantisme des Allemands, est une tentative de sauvegarder l’ancienne piété sous une forme que partisans et adversaires croient nouvelle. Mais leur foi enflammée par l’inspiration verbale de Newton n’a fait qu’accélérer le mouvement de scepticisme scientifique parmi les « bourgeois » de l’Occident. La science, en tant qu’activité reconnue et encouragée par l’État, devint politiquement réactionnaire, sauf dans les pays où, comme en Tennessee, l’État était demeuré pré-scientifique. La loi fondamentale de la majorité des savants est actuellement la nécessité de sauvegarder le
statu quo.
Par conséquent, ils acceptent volontiers de ne pas exiger pour la science plus qu’il ne lui est dû et de céder beaucoup aux exigences d’autres forces réactionnaires, comme la religion.
    Ils doivent affronter pourtant une grande difficulté. Tandis que les savants sont pour la plupart réactionnaires, la science demeure encore le facteur principal du changement rapide dans le monde. L’émotion produite par ces changements en Asie, en Afrique et parmi les populations industrielles de l’Europe déplaît souvent à ceux qui ont des opinions réactionnaires. Cela donne naissance à des doutes sur la valeur de la science, qui à leur tour contribuent au scepticisme des grands-prêtres. S’il se bornait à cela, il n’aurait pas grande importance. Mais il est renforcé par de réelles difficultés intellectuelles qui, si elles se révèlent insurmontables, mettront probablement un terme à l’époque des découvertes scientifiques. Je n’imagine pas que cela arrive tout d’un coup. La Russie et l’Asie peuvent continuer encore pendant un siècle à entretenir la foi scientifique que l’Occident est en train de perdre. Mais plus tôt ou plus tard, si l’on ne réussit pas à réfuter les arguments logiques contre cette foi, elle finira par convaincre les hommes qui, pour une raison ou une autre, seraient momentanément lassés ; et une fois convaincus, il leur sera impossible de reprendre la belle confiance ancienne. Le procès contre le
credo
scientifique mérite donc d’être soigneusement examiné.
    Quand je parle du
credo
de la science, je ne parle pas simplement des conséquences logiques de l’opinion que, dans ses grandes lignes, la science est vraie ; je parle de quelque chose de moins rationnel, notamment du système

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