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Essais sceptiques

Essais sceptiques

Titel: Essais sceptiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Russell
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absence. La différence augmente à mesure qu’il est plus loin de nous. En parlant à un frère, nous n’avons nul besoin de politesse consciente envers les siens. Le besoin de politesse atteint son maximum lorsqu’on parle à des étrangers, et ce devoir est si fastidieux qu’il exerce une influence paralysante sur des gens qui ne rencontrent d’habitude que des compatriotes. Je me souviens d’avoir émis une fois, devant un Américain qui n’avait pas beaucoup voyagé, l’opinion que peut-être il y avait quelques points secondaires dans la constitution britannique, qui étaient mieux compris que dans la constitution des États-Unis. Immédiatement, la passion l’envahit ; n’ayant jamais entendu exprimer auparavant une telle opinion, il ne pouvait pas imaginer que quelqu’un pût la professer. Tous les deux nous avons manqué de politesse, et le résultat fut désastreux.
    Mais les conséquences du manque de politesse, bien que mauvaises du point de vue mondain, sont admirables du point de vue de la destruction des mythes. Nos croyances naturelles peuvent être corrigées de deux façons : l’une est le contact direct avec la réalité, comme lorsque nous prenons une excroissance vénéneuse pour un champignon et souffrons en conséquence ; l’autre, quand nos croyances entrent en conflit non pas directement avec des faits objectifs, mais avec des croyances opposées et partagées par d’autres hommes. Un homme croit qu’il est licite de manger du porc, mais non du bœuf ; l’autre, qu’il est licite de manger du bœuf, mais non du porc. Jusqu’ici, le résultat de cette différence d’opinions s’exprimait d’habitude par des effusions de sang ; mais peu à peu, l’opinion raisonnable que peut-être aucune de ces opinions n’est un péché commence à se frayer un chemin. La modestie, cette compagne de la politesse, consiste à prétendre ne pas penser plus de bien de nous-mêmes et de nos biens que de l’homme auquel nous nous adressons ni de ses biens. Ce n’est qu’en Chine qu’on comprend profondément cet art. On m’a dit que si vous vous informez auprès d’un mandarin chinois de la santé de sa femme et de ses enfants, il vous répondra : « Cette méprisable chienne et ses rejetons pleins de vermine jouissent d’une grossière santé, puisque Votre Magnificence nous fait la grâce de le demander » (5) . Mais des formes si élaborées exigent une existence digne et pleine de loisirs ; elles sont impossibles dans les contacts rapides, mais importants, de la politique. Pas à pas, les relations avec les autres êtres humains dissipent les mythes de tous, sauf de ceux qui jouissent de plus de succès. La vanité personnelle est dissipée par les frères, la vanité de famille par les camarades d’école ; la vanité de classe par la politique ; la vanité nationale par les défaites militaires ou commerciales. Mais la vanité humaine reste et, dans ce domaine, en tant qu’elle intervient dans les rapports sociaux, la faculté de créer des mythes peut se donner libre carrière. Cette illusion est partiellement corrigée par la Science ; mais cette correction ne peut être que partielle, car, sans un peu de crédulité, la Science elle-même s’émietterait et s’écroulerait.
II
    Les rêves d’un homme en tant qu’individu ou membre d’un groupe sont peut-être risibles, mais les rêves collectifs de l’humanité, pour nous qui ne pouvons pas sortir hors de sa sphère, sont émouvants. L’Univers, tel que l’astronomie nous le révèle, est très vaste. Nous ne pouvons pas dire à combien il s’étend au-delà des limites atteintes par nos télescopes ; mais ce que nous pouvons connaître est d’une immensité inimaginable. Dans le monde visible, la Voie Lactée n’est qu’un petit fragment ; à l’intérieur de ce fragment, le système solaire n’est qu’une poussière infiniment petite, et notre planète n’est qu’une parcelle microscopique de cette poussière. Sur cette parcelle de minuscules masses de carbone impur et d’eau, d’une structure compliquée, possédant des propriétés physiques et chimiques peu communes, rampent pendant quelques années pour se dissoudre enfin de nouveau dans les éléments dont ils sont composés. Ils partagent leur temps entre le travail nécessaire pour remettre au plus tard le moment de leur propre dissolution et des luttes furieuses pour avancer celui des autres espèces. Des convulsions de la nature

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