Essais sceptiques
qu’on aurait pu supposer incompatibles, et c’est le cas de James dont l’importance est plus grande que celle qui lui a été attribuée par ses contemporains. Il défendait le pragmatisme en tant que méthode de présenter des espérances religieuses comme des hypothèses scientifiques, et il fit sienne l’opinion révolutionnaire qu’il n’y avait pas une chose comme la « conscience » en tant que moyen de surmonter l’opposition de l’esprit et de la matière, sans assigner à aucune des deux la première place. Dans les deux parties de sa philosophie, il avait divers alliés : Schiller et Bergson pour la première ; les nouveaux réalistes pour la seconde. Seul Dewey, parmi les hommes éminents, partageait avec lui ces deux idées. Mais chacune de ces parties a une histoire et des affiliations différentes, et il faut les considérer séparément.
La
Volonté de croire
de James date de 1897 ; son
Pragmatisme
de 1907. L’
Humanisme
de Schiller et les
Études de Logique
de Dewey datent de 1903. Au cours des premières années du XX e siècle, le monde philosophique faisait grand cas du pragmatisme ; puis Bergson surenchérit en faisant appel aux mêmes sentiments. Les trois fondateurs du pragmatisme diffèrent beaucoup entre eux ; nous pouvons distinguer James, Schiller et Dewey en leur assignant respectivement le rôle de protagonistes : religieux, littéraire et scientifique, car, bien que James fut multilatéral, ce fut surtout son côté religieux qui s’exprima par le pragmatisme. Mais ignorons ces différences et tâchons de présenter cette doctrine comme une unité.
Ce qui est à la base de cette philosophie c’est un certain genre de scepticisme. La philosophie traditionnelle se croyait en mesure de prouver les enseignements fondamentaux de la religion ; ses adversaires se croyaient en mesure de les réfuter, ou, du moins, comme Spencer, de prouver qu’on ne pouvait pas les prouver. Il semblait pourtant que ne pouvant pas être prouvés, ils ne pouvaient être réfutés non plus. Et cela parut s’appliquer à beaucoup d’autres enseignements que des hommes comme Spencer considéraient comme inébranlables : la causalité, le règne de la loi, la confiance en la mémoire, la valeur de l’induction, etc. Il faudrait comprendre toutes ces doctrines, d’un point de vue purement rationnel, dans la suspension agnostique du jugement, puisque, dans la mesure où nous pouvons nous en rendre compte, on ne peut ni les prouver, ni les réfuter. James allégua qu’en tant qu’hommes pratiques, nous devons demeurer en doute en ce qui concerne ces problèmes, si nous voulons survivre. Par exemple, nous devons admettre que les aliments qui nous nourrissaient jusqu’ici ne nous empoisonneront pas dans l’avenir. Parfois, nous nous trompons et nous mourons. Le critère d’une croyance n’est pas sa conformité avec le « fait », puisque nous ne pouvons jamais atteindre le fait en question ; son critère est sa possibilité de favoriser la vie et à réaliser nos désirs. De ce point de vue, ainsi que James essaya de le montrer dans ses
Variétés de l’Expérience religieuse
, souvent les croyances religieuses subissent l’épreuve avec succès, et c’est pourquoi on devrait les considérer comme « vraies ». Et dans aucun autre sens – prétendit-il – les théories les plus accréditées de la science ne peuvent être appelées « vraies » : elles réussissent pratiquement, et c’est tout ce que nous en savons.
En tant qu’on l’applique aux hypothèses générales de la science et de la religion, il y a beaucoup de choses à dire sur cette conception. En admettant qu’il existe une définition sérieuse de ce qu’on entend par « réussir » et, sous réserve que dans les cas en question nous ne connaissions réellement pas la vérité, il n’est nul besoin de chercher querelle à cette doctrine appliquée à ce domaine. Mais prenons des exemples plus humbles, où il n’est pas si difficile d’arriver à la vérité réelle. Supposez que vous voyez un éclair ; vous croyez que vous allez entendre le tonnerre ou vous jugez que l’éclair est trop éloigné pour que le tonnerre puisse être entendu, ou peut-être ne pensez-vous pas du tout à cette affaire. Cette dernière attitude est ordinairement la plus sage, mais supposons que vous avez adopté une des deux premières. Quand vous entendez le tonnerre, votre croyance est vérifiée ou réfutée non par
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