Essais sceptiques
résistance à une réforme politique naît de la peur de subir des dommages ; on lui gagne des partisans par l’espoir (d’habitude subconscient) qu’elle portera dommage aux ennemis. C’est pourquoi une politique qui ne porte préjudice à personne ne gagne pas de partisans, et une politique qui gagne des partisans soulève aussi de violentes résistances.
L’industrialisme a créé une nouvelle nécessité de coopération universelle et une nouvelle facilité de se nuire mutuellement par des actes hostiles. Mais dans la politique des partis, seul un appel aux sentiments de haine trouve une réponse instinctive ; les hommes qui voient le besoin de la coopération sont impuissants. Jusqu’au moment où l’éducation aura été dirigée dans une voie nouvelle pendant une génération et où la presse aura abandonné les excitations à la haine, seule une politique nuisible a quelque chance, avec nos méthodes politiques actuelles, d’être adoptée pratiquement. Mais il n’existe pas un moyen visible de changer l’éducation et la presse, avant de changer notre système politique. Ce dilemme est insoluble par les moyens d’action ordinaires, du moins pour un temps encore très long. Le mieux qu’on puisse espérer est, semble-t-il, que le plus possible d’entre nous deviennent des sceptiques en matière politique ; s’abstenant rigidement de toute croyance aux attrayants et variés programmes de partis qu’on nous présente de temps en temps. Beaucoup d’hommes très raisonnables, depuis H.G. Wells, croyaient que la dernière guerre a été une guerre qui devait en finir avec les guerres. Maintenant ils sont désillusionnés. Beaucoup de gens tout à fait raisonnables croient que la guerre de classes marxiste sera la dernière des guerres. Si jamais elle a lieu, eux aussi seront désillusionnés – s’il en reste encore qui lui auront survécu. Une personne bien intentionnée qui croit à un fort mouvement politique quelconque ne fait que contribuer à prolonger cette bataille organisée qui est en train de détruire notre civilisation. Bien entendu, je ne prétends pas que c’est là une loi absolue ; nous devons être sceptiques même à l’égard de notre scepticisme. Mais si un parti suit une politique (comme le font la plupart) qui ne peut manquer de faire beaucoup de mal dans le but de produire quelque bien ultérieur, le besoin du scepticisme est très grand, devant l’incertitude de tout calcul politique. Nous pouvons soupçonner avec raison, nous inspirant de la psychanalyse, que ce qui rend la politique réellement attrayante est le mal qu’elle fait, tandis que le bien ultérieur est de la nature d’une justification rationnelle.
Il est possible d’arriver à répandre largement le scepticisme politique ; psychologiquement, il signifie que nous dirigerons notre haine sur les politiciens au lieu de la diriger contre des nations ou des classes sociales. Puisque la haine ne peut pas être sans l’aide des politiciens, une haine dont ils seraient l’objet peut satisfaire psychologiquement, mais ne peut pas être nuisible socialement. Je la propose comme réalisant les conditions du désideratum de William James : « une substitution morale de la guerre ». Il est vrai que seuls des coquins évidents, (c’est-à-dire des personnes que vous et moi détestons) pourraient, dans ce cas, faire de la politique, mais cela pourrait être un avantage. Dans
The Freeman
du 26 septembre 1923, j’ai lu une histoire qui peut servir d’illustration à l’utilité du « coquinisme » politique. Un certain Anglais devenu ami d’un sénateur japonais
(a Japanese Elder Statesman)
a demandé pourquoi les marchands chinois étaient honnêtes tandis que les japonais ne l’étaient pas. « Il y a quelque temps, a répondu le Japonais, une corruption particulièrement étendue a gagné la politique chinoise, et, pour ce qui est des tribunaux, la justice est devenue une moquerie. À cause de cela, pour sauver le commerce du chaos et de la stagnation les plus complets, les marchands chinois ont été obligés d’adopter la plus stricte moralité ; et depuis ce temps, leur parole vaut leur signature. Mais au Japon les marchands ne se sont pas trouvés dans cette nécessité, car nous avons probablement le meilleur code de justice du monde entier. C’est pourquoi, quand vous faites des affaires avec un Japonais, vous devez courir des risques. » Cette histoire prouve que des politiciens
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