Essais sceptiques
l’Absolu hégélien, presque malgré lui, prit conscience de son idéalisme : et bien qu’il s’en écartât rapidement, il ne cessa jamais de croire que si la philosophie a pour but de dépasser le simple exercice philosophique, elle doit chercher à saisir l’essence fondamentale des choses. Elle doit aspirer à l’universel. Nous verrons comment, à un âge avancé, cette conviction le fit entrer en violent conflit avec des philosophes pourtant inspirés par ses propres œuvres, mais qui voulaient réduire la philosophie à un ensemble aride de procédés.
Il publia son premier livre en 1895
En quittant Cambridge en 1894, Russell abordait une autre carrière, plus mouvementée. Fidèle à la tradition familiale, il s’intéressa aux affaires publiques. Après une courte période comme Attaché honoraire à l’Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, il épousa Alys Smith, de famille quaker de Philadelphie. Pendant leur voyage de noces, ils visitèrent l’Allemagne. Russell, qui portait un vif intérêt à la pensée philosophique de ce pays, patrie de Hegel, et avait en plus accepté les charges d’une chaire à l’Université de Berlin, trouva cependant le temps d’étudier les conditions sociales du pays. Ayant suivi quelques conférences en 1895 à l’École des Sciences économiques de Londres, traitant de la démocratie allemande, il publia un livre sur ce sujet. Ce fut le premier d’une longue série de livres caustiques, révélateurs, parfois iconoclastes sur les affaires publiques. Après cela, il se consacra, avec une énergie grandissante, aux deux grands centres d’intérêt de sa vie : la spéculation pure et la critique sociale. Élu
Fellow
(3) à Trinity College, il visita les États-Unis en 1896, faisant des conférences de géométrie aux Universités de John Hopkins et Bryn Mawr et revint à Cambridge en 1898. Vint alors une période d’activité philosophique considérable, période féconde pendant laquelle il établit les bases du traité de logique et de mathématique auquel son nom est définitivement associé. D’abstraction pure pourtant, cet ouvrage, par ses qualités d’esprit et de lucidité, valut à Russell des lecteurs qui, pour n’être pas tous sortis des universités, se chiffrèrent plus tard par millions.
Bertrand Russell et les mathématiques
Sur la base de ces essais préliminaires, il entreprit un ouvrage bien plus considérable. Jeunes mariés, Russell et sa femme se fixèrent en Angleterre, dans un cottage du Sussex. Il avait pour projet de se consacrer à une étude définitive sur les fondements des mathématiques. Cette tâche, en collaboration avec A.N. Whitehead devait l’occuper, avec des interruptions, pendant près de dix ans. Russell n’avait pas l’intention de faire de ce traité une étude isolée ; il se proposait d’approfondir la nature des mathématiques jusqu’à cette limite où l’abstrait fait place au concret, c’est-à-dire le monde de la biologie ; et, par contraste il espérait dans ses traités sociaux épuiser le concret pour retrouver l’abstraction première. C’était partir des mathématiques pour revenir aux mathématiques. Le résultat de ces deux gigantesques exercices intellectuels devait être une œuvre de synthèse. Pour servir cette ambition il prit pour modèle
l’ Encyclopédie des Sciences Philosophiques
de Hegel.
Son « Principia Mathematica » faillit lui faire perdre la raison
Dès 1900, il était parvenu à la conclusion que les mathématiques ne sont rien d’autre qu’un prolongement de la logique. Il n’était pas le premier à émettre cette opinion : Frege en Allemagne, avait orienté ses pensées dans la même direction, bien qu’à l’époque Russell n’en eût pas connaissance. Le Congrès International de Philosophie à Paris, en 1900, le mit en contact avec de nombreux logiciens du continent. Ce fut pour lui un encouragement à publier :
The Principles of Mathematics
(Les principes des Mathématiques) ; mais le gigantesque
Principia Mathematica
ne devait pas être achevé avant 1913. Sa publication lui demanda une telle concentration mentale qu’il y eut des moments où Russell se sentit sur le point de perdre la raison. Anéanti devant certaines propositions logiques contradictoires et même devant une évidente contradiction à l’intérieur de la logique, il arrêta sa recherche pendant deux ans. Peu de gens ont lu les
Principia
en entier, ou sont suffisamment rompus
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