Et Dieu donnera la victoire
cathédrale, huit ans auparavant, le roi Henri V d’Angleterre avait célébré ses fiançailles avec Catherine, fille de Charles VI, le roi défunt, et d’Isabeau. Une union qui devait conférer la double nationalité et un semblant de légitimité à l’actuel prétendant, le jeune Henri d’Angleterre.
Gilles ajouta :
– C’est dans cette même ville que la reine Isabeau a fait signer au roi Charles, alors qu’il était inconscient, le traité qui offrait aux Anglais le royaume de France.
Lorsque Jeanne et ses compagnons entendirent le grondement sourd des bombardes, ils s’en retournèrent au galop. Ce n’était qu’une salve de dissuasion de la part des gens de Troyes.
– J’ai un mauvais pressentiment, dit Gilles. Je crains que nous ne soyons immobilisés longtemps. Les Troyens ont des munitions et des vivres en suffisance pour tenir des mois. Ce n’est pas notre cas...
Les hommes, privés de pain depuis plusieurs jours, allaient moissonner dans la campagne le blé sur pied qu’ils écrasaient pour en faire de la farine, et récoltaient les fèves qu’ils trouvaient en abondance, et pour cause : dans une homélie, le frère Richard, s’exprimant par métaphore, avait conjuré les fidèles de semer des fèves à pleins champs ; ils avaient pris au pied de la lettre cette parole symbolique et semé ce féculent à tour de bras, si bien que la campagne en était couverte. Les soldats bougonnaient : les fèves, ça ne tient pas au corps. Les fourriers ne ramenaient que du vent. Il fallut sacrifier une partie des attelages, mais, avec dix mille hommes à nourrir, on risquait de n’avoir plus de boeufs pour tirer les chariots.
Invitée à participer à la séance du Conseil, Jeanne resta béante de surprise.
– Jeanne, dit Charles, tu nous vois dans une grande perplexité. Tu persistes à proclamer que cette ville tombera d’ici trois jours, mais sera-ce par l’opération du Saint-Esprit ? Les légions célestes vont-elles voler à notre secours ?
– Aide-toi, le ciel t’aidera... murmura Jeanne.
– Que dis-tu ?
– Je dis, monseigneur, que rien ne se fera si vous ne décidez d’y donner la main. Ces bourgeois redoutent les conséquences d’un siège dont ils n’ont à attendre qu’une mise à sac qui les priverait de leurs biens et peut-être de leur vie. Laissons-leur l’impression que nous sommes décidés à leur faire subir un long siège. Cela leur donnera à réfléchir.
– Que suggères-tu ? demanda Ambroise de Loré. Un simulacre de siège ?
– C’est bien cela, dit Jeanne, un simulacre. Cela devrait suffire à leur faire baisser pavillon.
Les préparatifs débutèrent sous les remparts du nord-ouest, entre les portes de Comporté et de la Madeleine. La Pucelle avait battu le rappel des volontaires et, forte d’une centaine de manoeuvriers, fit apporter sur place des monceaux de fascines, de branches et de planchailles découvertes dans les maisons des faubourgs. Jeté dans les fossés, cet amoncellement hétéroclite permettrait aux assaillants de parvenir à la base des remparts et de poser leurs échelles. Jeanne courait d’un groupe à l’autre, lançait des encouragements, sa longue huque flottant au vent :
– Hardi, les gars ! Bourrez, bourrez ! Apportez des fagots, encore et encore...
De temps à autre, elle levait la tête vers le chemin de ronde où s’alignaient des visages gris de peur de soldats et de bourgeois.
– En nom Dieu, leur lançait-elle, la Pucelle vous conseille de recommander votre âme au ciel. Demain, nous vous réservons un de ces ahay dont vous vous souviendrez toute votre vie, si vous survivez...
Alors que la nuit allait tomber, elle veilla elle-même à l’installation de l’artillerie. On avait laissé à Gien la fameuse bombarde d’Orléans, la Bergère , trop lourde à tracter, mais l’armée était bien pourvue en pièces à poudre de moyen et de petit calibre. Elle fit tirer quelques projectiles pour le plaisir et, avant de regagner sa tente, se livra à une ultime inspection.
Le résultat de cette manoeuvre d’intimidation ne se fit pas attendre.
Le lendemain, à la première heure, la porte de la Madeleine s’ouvrit devant une délégation d’échevins, le seigneur-évêque en tête. On pensa qu’il était porteur des clés de la ville ; il ne venait qu’avec de bonnes paroles.
Le dauphin les fit patienter devant sa tente, le temps que son barbier lui eût fait le menton. Il revêtit son harnois qui
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