Et Dieu donnera la victoire
s’équiper. Il se contenterait quant à lui d’une modeste solde, du gîte et du couvert. Il apprendrait à quelques solides gars du pays à manier les armes et à faire l’exercice. Ainsi les gens de Domrémy et de Greux pourraient dormir sur leurs deux oreilles.
Jacques gratta sa joue râpeuse.
– C’est à voir, dit-il. Tu as peut-être raison.
Après quelques minutes de réflexion, c’était tout vu. Affaire conclue, il se rendit en compagnie de Josef chez un armurier de Neufchâteau pour acheter un lot d’armes diverses. Entre les fenaisons, le sarclage de la vigne et les moissons, quelques heures étaient consacrées dans la semaine à l’exercice dans une prairie des bords de la Meuse. Josef avait recruté sans peine une dizaine de gars prêts à jouer à la guerre. D’une demi-lieue à la ronde, on entendait retentir la voix de stentor du sergent en train d’engueuler ou d’encourager ses recrues.
Jeannette ne se privait pas de ce spectacle dès qu’elle pouvait s’évader de la maison. Elle y prenait un plaisir constant. Le jour où on la vit arriver sur le champ de manoeuvre avec, passée dans sa ceinture, l’épée de Nuremberg, elle fit sensation. Son intention n’était pas de se mêler à ces jeux virils mais de faire présent de cette arme à Josef. Il fit les yeux ronds, laissa échapper un juron à la française :
– Nom de Dieu ! D’où sors-tu ce bijou ?
Elle expliqua : la recherche du souterrain, le cadavre du soldat, le secret qu’elle avait si mal gardé. Elle lui fit promettre de ne rien révéler à son père. Il le jura.
Durand Laxart ne tarda pas à ressentir un sentiment de jalousie envers Josef Birkenwald. Depuis que le sergent avait installé ses pénates dans la grange, Jeannette n’avait d’attention que pour lui. L’oncle descendait de sa mule, lançait à la petite :
– Jeannette, veux-tu me suivre ? Nous allons nous promener le long de la Meuse et faire une partie de pêche, si tu veux.
– Merci, mon oncle, répondait-elle, mais je regrette : il faut que j’aide à sarcler la vigne.
Un moment plus tard, il la voyait partir au galop, cottes relevées jusqu’aux genoux, vers le terrain d’exercice. Parfois c’est le sergent qui l’emmenait à cheval, à califourchon sur le garrot, fière comme Artaban.
– Josef, disait Jeannette, raconte-moi cette bataille, près de Jamville, quand tu as coupé le cou à un écuyer de Vergy.
– Tu dois la savoir par coeur. Je te l’ai racontée au moins dix fois !
– Raconte encore, Josef. Ou alors, dis-moi comment tu es venu à bout d’une compagnie de gens de Lorraine, à Martigny.
Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi cette petite garce prenait tant de plaisir à des récits guerriers au lieu de jouer à la poupée. Il racontait ses exploits sans y mettre beaucoup de conviction mais s’amusait à les orner de fioritures et sentait la gamine toute frémissante d’émotion contre lui. Il aurait aimé lui parler de sa femme, de ses moutons, de cette vigne que les soudards avaient arrachée, de sa maison qu’ils avaient incendiée et qui n’était pas une de ces huttes de torchis couvertes de joncaille pourrie qu’on voyait dans les parages, mais celle de ses vieux, bâtie en bonne pierre du pays et couverte de lave.
– Et toi ? disait Josef. Parle-moi un peu de toi au lieu de ne faire que m’écouter. À ton âge, éveillée comme tu l’es, tu devrais avoir des choses à raconter.
– Qu’est-ce que tu voudrais que je te dise ?
– Par exemple : est-ce que tu as un amoureux ?
Elle s’esclaffait : à dix ans, un amoureux ! Elle lui parlait en revanche de ses amies, Hauviette et Mengette surtout, plus âgées qu’elle de deux ou trois ans mais moins matures et même un peu niaises. Elles se rendaient ensemble le dimanche au Bois-Chenu, dansaient et chantaient autour de l’arbre sacré et de la fontaine aux Rains, tressaient des cordons d’amour qu’elles se posaient sur la tête et mangeaient des pains aux raisins en buvant du cidre...
– L’arbre sacré ? Pourquoi sacré ?
Jeannette l’ignorait. On appelait aussi cet hêtre gigantesque « l’arbre aux Fées » ou « l’arbre du Dimanche ». L’abbé Minet venait de temps à autre l’asperger d’eau bénite pour expulser de ce lieu des démons que personne n’avait jamais vus.
– C’est un bel arbre, disait-elle. Et grand, très grand. Le plus beau et le plus grand de tout le pays entre Vaucouleurs et
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