Et Dieu donnera la victoire
exactions des Armagnacs comme des Bourguignons. Tandis que le duc de Bar restait fidèle au roi de France, le duc de Lorraine penchait pour le duc de Bourgogne.
Une ère de paix avait succédé à ces conflits, traversée de quelques tourmentes. Le duc de Bar mort à Azincourt, son duché avait échu à l’évêque de Chaumont, Louis de Bar, oncle de Madame Yolande, qui, par le jeu des stratégies matrimoniales dans lequel elle excellait, était parvenue à ramener la paix et à faire des gens de Lorraine et de Bar de bons Français.
Situation intolérable pour le duc de Bourgogne qui nourrissait une rancune tenace contre les assassins de son père, Jean sans Peur, sur le pont de Montereau. Il lâchait ses bandes sur le pays, les laissait piller et massacrer à leur aise. Il applaudit à la décision du duc de Bedford, régent de France pour la couronne d’Angleterre, de confisquer les domaines champenois de Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, au profit d’une créature de Philippe, le sire de Vergy, gouverneur de Champagne. C’était semer sciemment les graines de la discorde et de la guerre.
On avait bien entendu un pas lent et lourd traverser le courtil et Brutus grogner sous la table, mais on n’y avait guère prêté d’attention en pensant qu’il pouvait s’agir d’un voisin prenant le raccourci pour passer le ruisseau sur le ponceau de bois. Jeannette affirma avoir vu une ombre se dessiner par le fenestron donnant sur le courtil.
Le père lança à Pierrelot, en attaquant sa soupe :
– Va donc voir ! Si c’est le voisin, dis-lui de venir boire un coup.
Pierrelot revint quelques instants plus tard, livide. Il balbutia :
– Je crois que c’est un soldat. Peut-être un routier...
– Diable ! fit le père. Il est seul ?
– On dirait. Blessé, je crois bien. Il a du sang sur ses braies. Il est là-bas, sous le pommier.
Le père se leva brusquement, fit signe à Zabelle de conduire Guillemette et les enfants dans le cellier et de ne pas en bouger jusqu’à nouvel ordre. Il distribua à ses aînés les longs couteaux dont on se servait pour tailler dans la tourte ou le jambon et saigner les porcs. Il jeta un regard par le fenestron, constata que le visiteur était tranquillement en train de pisser en chancelant sur le tas de fumier.
– Il n’a pas l’air bien dangereux, dit-il, mais on ne sait jamais. S’il devient menaçant, faudra le supprimer.
Jacques s’apprêtait à barrer la porte quand, sombre comme un nuage de pluie, une grande ombre s’encadra dans l’embrasure. L’homme se tenait appuyé des deux mains contre le montant de pierre, les genoux à demi ployés. Ayant fait trois pas, il s’écroula sur les dalles.
– Fichtre ! s’exclama Jacquemin. C’est un géant...
– Il est peut-être mort, ajouta Pierrelot.
Le père rappela Zabelle et les enfants. Jeannette sortit la première du cellier, marqua un recul en voyant l’homme à terre et faillit crier : le visiteur étendu raide lui rappelait le cadavre du château, sauf que celui-ci était tombé sur le ventre et qu’une de ses mains semblait vouloir se raccrocher à une aspérité. Ce n’était pas un Anglais : il n’était pas coué.
– Sûrement un vagabond, dit Zabelle. Il en a toute l’allure.
– Sottise ! protesta Jacques. Un vagabond ne s’aventure pas en plein jour et en tenue de soldat au milieu d’un village. Cette engeance préfère la nuit pour venir, en longeant les murs, piller les poulaillers. Ce n’est pas non plus un roumieux : il lui manque le bourdon et le chapeau de feutre avec les médailles. Pierrelot, aide-moi !
Ils retournèrent le corps, lourd à mouvoir comme un grand sac de raves. C’était un soldat à en juger par la large ceinture de cuir qui portait une gaine de poignard sans l’arme qui allait avec, un insigne cousu à la casaque boueuse qui paraissait déchirée à coups de serpe comme si l’on s’était acharné sur elle. Ses braies en lambeaux qui plongeaient dans des houseaux couleur de terre révélaient une large blessure à la cuisse, qui avait dû saigner d’abondance car il avait du sang séché jusqu’au-dessous du genou.
– Qu’est-ce qu’on va faire ? se lamenta Zabelle.
– L’achever, dit Pierrelot. Il est d’une race de malfaisants, ça se voit à sa trogne.
– Non, dit Jacques. On ne va pas le tuer sans savoir de quel côté il est. C’est peut-être un homme de Baudricourt. Femmes, vous allez le soigner ! De l’eau, de
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