Et Dieu donnera la victoire
défaillantes. Repliés devant le châtelet, les soudards devaient se demander qui était cette drôlesse en robe rouge qui leur tenait tête avec une telle ardeur. Ils étaient occupés à se concerter quand une voix retentit dans la cour, au milieu des troupeaux :
– Rendez-vous ! Posez vos armes ! Vous n’avez aucune chance.
Une trentaine de brigands conduits par un sergent à cheval venaient de faire irruption par une brèche dans les remparts situés du côté opposé, que l’on n’avait pas pris soin de mettre en défense.
– Il faut renoncer à résister, gémit l’abbé Minet. Sinon ils vont nous massacrer.
– Non, dit Jeannette. Nous sommes plus nombreux. En avant ! Ahay !
Elle bondit en direction des troupeaux affolés et soudain arrêta sa course : une lance venait de siffler à son oreille avant d’aller se piquer dans un prunier sauvage. Quand elle se retourna, elle put constater que personne ne l’avait suivie.
Le sergent fit conduire les prisonniers dans une grande salle à ciel ouvert, confisqua leurs armes et les vivres qu’ils avaient emportés. Tandis que les gueux s’attaquaient aux gourdes et aux jambons, d’Orly faisait son entrée dans le château. Il s’approcha de Jeannette et s’inclina en ôtant sa salade.
– Tu t’es fichtrement bien défendue, dit-il. Comment t’appelles-tu ?
– Ça ne vous regarde pas.
– Tu as quel âge ?
– Que vous importe ?
– Tu sais que tu es une sacrée garce ? Je donnerais cher pour t’avoir dans ma troupe. Tu ranimerais l’énergie de ces fainéants. Si tu veux, je te prends à mon service. Tu n’aurais pas à t’en plaindre. Je suis généreux.
Le chef s’assit près d’elle, posa une main sur son épaule comme pour marquer sa prise de possession. Elle l’écarta avec une telle vivacité qu’elle faillit le faire basculer. Elle s’écria :
– Bas les pattes ! Je ne suis pas à vendre.
Il prit le parti de rire pour ne pas paraître ridicule aux yeux de ses hommes.
– Ce que j’aime chez une fille, dit-il, c’est qu’elle me résiste. Nous sommes faits pour nous entendre. Je te demande de réfléchir. Nous avons tout le temps de parler, toi et moi.
– Je ne vous répondrai plus.
Assis sur un moellon, d’Orly attaqua un quignon de pain et une tranche de jambon sans quitter sa prisonnière des yeux, puis se retira pour faire un brin de sieste. Lorsqu’il revint vers Jeannette, il trouva le curé devant lui, bras croisés.
– Ne touchez pas à cette pucelle, dit le vieil homme. Elle est la bâtarde du duc de Lorraine. Vous risquez de gros ennuis.
D’Orly se gratta la barbe, interloqué, et bougonna :
– Par saint Maurice, c’est bien la première fois qu’une garce me tient tête avec une telle arrogance ! Dis-toi bien que, même si tu étais la fille du roi d’Angleterre, tu serais à moi !
– Essayez pour voir ! dit-elle en se dressant.
– ... si je voulais vraiment et si nous avions le temps de rester quelques jours dans cette charmante résidence. Mais voilà, nous sommes attendus. Dis-toi bien, ma jolie, que nous nous retrouverons.
Il tourna les talons, lança son drôle de coup de sifflet qui fit surgir de sous les arbres et des coins de mur où ils somnolaient sergents et piétons. Il lança :
– Foutez-moi cette porte en l’air et faites évacuer les troupeaux. Nous les vendrons à Tranqueville. C’est pas ce soir qu’on y arrivera.
Quand la horde se fut éloignée le long de la Meuse, le curé dit à Jeannette :
– Ma petite, tu t’en tires à bon compte. Tu as perdu ton troupeau, mais tu as sauvé ton bien le plus précieux : ta vertu. J’ai eu très peur pour toi.
– Et moi, dit-elle avec aplomb, je n’ai pas eu peur une seconde. Je savais que saint Michel veillait sur moi.
– Tant qu’à faire, il aurait pu intervenir pour qu’il nous laisse nos vaches et nos moutons...
Était-ce grâce à l’intervention du saint ? Toujours est-il que les gens de Domrémy et de Greux retrouvèrent leurs troupeaux intacts. Ils eurent, le soir même, la surprise de les voir revenir au bercail. Robert de Sarrebruck avait intercepté les brigands dans les parages de Saint-Élophe. Ils en avaient massacré une dizaine et mis le reste en fuite. C’est Josef, hilare, dressé sur ses étriers et brandissant son bonnet, qui ramena les bêtes au village.
– Ça vaut bien un coup à boire ! dit-il en mettant pied à terre devant la maison de Jacques. Nous avons soif. Vos bêtes aussi,
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