Et Dieu donnera la victoire
reparaître. Mais que cela reste un secret entre nous...
Entre Robert de Baudricourt et Antoine de Vergy, la guerre était devenue permanente.
Le capitaine de Vaucouleurs écoutait en rongeant son frein les émissaires anglo-bourguignons venant de temps à autre lui proposer de renoncer à sa fidélité pour le roi de Bourges, ce fantoche sans avenir, et de mettre bas les armes ; cette tête de bois faisait mine d’accéder à leur requête, mais c’était pour les retourner à l’envoyeur avec sa botte au bas des reins.
Robert de Sarrebruck, quant à lui, prenait cette guerre de coups de main et d’escarmouches comme une partie de plaisir. Il ne fallait pas le prier pour qu’il se mît en campagne, suivi de son fidèle Josef.
Un matin de novembre, accompagné de ses deux aînés, Jacques prit avec le fardier la route de Coussey où il avait du vin à livrer au procureur. Ils furent attaqués en cours de route, sous la colline de Moncel, par une compagnie d’une dizaine d’hommes dont le sergent arborait le chaperon blanc de Bourgogne, et durent s’enfuir en abandonnant le cheval, le fardier et le vin.
Domrémy et Greux vivaient en état d’alerte permanente. Leur seul recours était l’autorité militaire, mais les brigands agissaient sans prévenir, et il aurait fallu une heure ou plus avant de recevoir du secours.
Un matin, alors qu’elle faisait paître ses oies dans le cimetière, le regard de Jeannette fut attiré par le flocon de poussière montant de la voyère dans les parages de Maxey. Elle ramena en hâte son troupeau dans le courtil, alerta son père, lequel ordonna à Jacquemin de souffler dans sa corne pour donner l’alarme.
Moins d’une heure plus tard, tous les troupeaux étaient rassemblés et conduits dans le château de l’île avec la majeure partie des femmes, des enfants et des vieux, les hommes valides restant pour la plupart affectés à la garde du village.
Ce n’étaient pas les hommes de Vergy qui remontaient la Meuse mais un certain sire d’Orly, un baronnet originaire de la Savoie, qui opérait on ne savait pour quel parti, peut-être pour son propre compte. Il était accompagné de deux sergents à cheval et d’une cinquantaine d’hommes. Les gens de Maxey, ces traîtres, avaient dû les informer, car ils piquèrent droit sur le château.
– Nous allons devoir leur tenir tête, dit Jeannette.
– Avec quoi ? protesta la gouvernante du curé, qu’on appelait « la Curée ».
– Avec ça et avec ça ! riposta Jeannette en brandissant d’une main son bâton et de l’autre une pierre.
Tous et toutes durent bien convenir qu’il n’y avait rien de mieux à faire que se défendre et prier plutôt que de se laisser égorger. Leur ardeur stimulée, les quelques hommes qui avaient suivi les troupeaux, mêlés aux femmes et aux enfants, se portèrent aux remparts.
Il était temps de faire face : une reconnaissance était déjà proche du châtelet, une ruine hantée par les corneilles et les faucons crécerelles, fermée par une porte cloutée à demi dégondée. Le sire d’Orly surgissait peu après et mettait pied à terre devant le fossé. Il était vêtu de bric et de broc, portait sur son écu l’image d’une montagne survolée par un aigle et, à l’arçon de sa selle, une lance de tournoi raccourcie. Il n’avait pas l’air bien méchant. On l’entendit crier :
– Nous ne vous voulons pas de mal. Faites sortir vos troupeaux et vous aurez la vie sauve.
À la surprise générale, la voix de Jeannette retentit :
– Viens les chercher toi-même, pendard !
La pierre qui accompagna cette provocation toucha aux naseaux le cheval du brigand qui se cabra en hennissant.
– Deuxième avertissement ! lança d’Orly. Faites évacuer les bêtes, sinon ça va barder !
Il mit deux doigts dans sa bouche, siffla, et l’on vit rappliquer dare-dare une dizaine de soudards qui hurlaient en brandissant leurs armes. Ils furent accueillis par une telle grêle de pierres qu’ils reculèrent malgré les menaces du chef. Dépourvus d’arcs et de matériel de siège, ils entreprirent, sous une nouvelle avalanche de moellons, de prendre d’assaut les remparts. Les premiers à y parvenir basculèrent dans le fossé, repoussés par des faucilles et des bâtons.
– Ahay ! criait Jeannette. Courage ! Ils en tiennent !
En poussant son cri de guerre, elle se démenait comme une diablesse sur le chemin de ronde, excitant à la défense, ranimant les énergies
Weitere Kostenlose Bücher