Et Dieu donnera la victoire
pourquoi, je vous prie ?
– Parce qu’il n’est plus de ce monde.
Charles se laissa tomber dans un fauteuil.
– Que me chantez-vous là ? Giac, mort ? Il était en parfaite santé lorsqu’il m’a rejoint à Issoudun. Eh bien, parlez ! Que lui est-il arrivé ?
Avec la franchise qui le caractérisait, Richemont raconta sans rien omettre la fin du triste sire. Le visage du dauphin, de blême qu’il était, devenait verdâtre, crispé, agité de tics nerveux et de grimaces avec, au fond de la gorge, un souffle rauque de colère. Il s’écria :
– Maraud ! Faquin ! vous avez disposé de la vie de mon chambellan sans daigner m’en informer. Pour qui vous prenez-vous ? Pour un grand justicier ? Pour l’exécuteur des hautes oeuvres ?
– Je comprends votre colère, monseigneur, mais cette mesure était devenue nécessaire. Nous avons agi pour votre sécurité. Sous ses allures séduisantes, Giac était une créature démoniaque. Ignorez-vous pourquoi, il y a peu, j’ai dû renoncer à prendre Saint-James-de-Beuvron ? Pour faire échouer le siège, cette canaille a détourné les convois de vivres et de munitions qui m’étaient destinés. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase !
– J’avoue que je l’ignorais, bredouilla le dauphin.
– On vous laisse volontairement dans l’ignorance de bien d’autres faits, surtout s’ils risquent de vous contrarier.
– Je ne le sais que trop, mais je ne puis être partout à la fois. Je suis seul, monsieur le connétable, seul et fort mal conseillé, je vous l’accorde.
– Avec votre permission, monseigneur, tout cela peut changer. Je puis m’en charger...
Pour remplacer son grand chambellan défunt, le dauphin fit sortir de l’anonymat un personnage dont il s’était entiché, Dieu sait en vertu de quelles affinités, sinon que ce joyeux compagnon de beuverie tenait de l’histrion.
Simple écuyer natif d’un village perdu entre Limousin et Auvergne, Le Camus de Beaulieu s’appelait en réalité Jean Vernet. Où était-il allé pêcher ce faux patronyme dont il s’affublait ? Mystère. Le dauphin lui confia une compagnie de gardes, le nomma capitaine de Poitiers puis grand maître des Écuries, à la place de cette fripouille de Frotier qui, suite à un décret occulte du connétable, avait mystérieusement disparu.
Lorsque Charles décida de donner à son nouveau ministre les titres et les fonctions de Pierre de Giac, le connétable et Yolande s’insurgèrent : cette idée de remplacer un brigand par un fripon, de surcroît vulgaire, ignare et notoirement adonné à l’ivrognerie, leur parut à la fois saugrenue et dangereuse.
– Monsieur le connétable, dit Yolande, il va falloir nous débarrasser de ce gredin. Il a pris trop d’ascendant sur mon gendre. Faites le nécessaire.
– Madame... Jamais le dauphin n’acceptera de s’en séparer !
– Nous ne lui demanderons pas son avis. Le mieux serait qu’il aille tenir compagnie à Giac. Ce sera un double châtiment : vous savez que ce bougre déteste l’eau...
– Ce que vous me demandez là, madame...
– Je prends la responsabilité de cet acte de justice. Mes gens vous aideront.
Quelques jours plus tard, alors qu’il cheminait seul sur sa mule, près de Poitiers, au bord du Clain, au retour d’une beuverie nocturne dans un bouge, Le Camus eut la surprise de trouver en travers de son chemin le maréchal de Boussac accompagné de quelques hommes de mauvaise apparence. On le fit descendre de sa mule et, sans daigner lui fournir une explication, on lui fendit le crâne. Pour faire bonne mesure, on lui coupa le poignet droit, suivant les instructions du connétable, puis on jeta le corps dans la rivière.
On expliqua au dauphin que cet ivrogne avait fait une chute dans le Clain et s’était noyé.
– Monseigneur, lui dit Richemont, je conçois que la mort de ce pauvre garçon vous chagrine, mais dites-vous qu’il n’est pas irremplaçable. Je me permets de vous recommander mon cousin, Georges de La Trémoille. Il a toutes les qualités requises pour remplacer votre chambellan.
Charles ne put réprimer un hoquet de surprise : il venait d’apprendre récemment que ce personnage ne portait pas dans son coeur, suite, pensait-on, à d’obscures querelles de famille, Arthur de Richemont.
– Vous m’étonnez, dit-il. J’accepte cette candidature, mais je me dois de vous prévenir : vous ne tarderez pas à le regretter.
Rejeton d’une puissante
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