Et Dieu donnera la victoire
sonner la retraite.
– C’est bien, dit Jeanne. Donnez un peu de répit à vos hommes, distribuez-leur de la nourriture et du vin, mais qu’ils gardent l’arme au pied. Nous reprendrons le combat dans un moment. Je n’ai pas renoncé à entrer ce soir en ville par le pont.
Les habitants eux-mêmes n’avaient pas perdu espoir d’en finir avant la nuit. Ils le montrèrent à leur manière. Ayant chargé des brûlots de soufre et de poix, ils y mirent le feu et les laissèrent dériver vers le pont. L’incendie se communiqua aux structures de bois du boulevard entourant la forteresse. Les craquements, la lueur du feu, la lourde fumée montant derrière les Tourelles firent sursauter les hommes de Gilles de Rais. Allongés ou accroupis dans l’herbe, mangeant et buvant, ils se dressèrent comme un seul homme en se disant que l’ordre n’allait pas tarder à venir de reprendre les armes.
– Si nous n’attaquons pas sur-le-champ, dit Jeanne, l’initiative des habitants aura été inutile et nous pourrions les décevoir.
– La nuit va tomber, répondit Gilles. Nous risquons de faire tuer pour rien beaucoup de nos soldats.
– Et moi, je vous dis qu’il faut se remettre tout de suite à la tâche.
Sans attendre la réponse de Gilles, elle saisit sa bannière qu’elle avait plantée en terre, se posta sur le rebord du fossé, face au pont-levis : les Anglais, sûrs que l’ennemi allait évacuer les lieux, n’avaient pas jugé bon de le relever.
Elle s’écria :
– Les Tourelles sont à vous ! Les Godons n’ont plus de force. Tout est à vous ! Entrez !
Ils laissèrent leur pain, se jetèrent une dernière rasade dans le gosier et sautèrent sur leurs armes avec des cris féroces, tandis que pleuvaient autour d’eux des boulets et des plombs de couleuvrines.
L’attaque avait été si brusque et l’incendie du pont avait jeté une telle terreur parmi les occupants du fort que ceux des Anglais qui faisaient encore la bravade sur le boulevard se précipitèrent en hurlant vers la grande porte afin de n’être pas pris au piège si le pont se relevait. Ceux qui restaient à l’arrière de la forteresse s’engagèrent, en passant à travers les flammes, sur le pont de bois menant à l’île ancrée au milieu du fleuve. Il s’écroula, entraînant des dizaines de soldats dans la Loire où le poids de leur harnois les entraîna au fond. Glasdale était parmi eux. Accroché à la rambarde, pressé par les hommes qui le bousculaient, il fut précipité dans le fleuve où il disparut.
Ceux qui parvinrent à échapper au feu et à l’eau périrent par le poignard ou l’épée. Ce carnage auquel il lui était impossible de s’opposer bouleversa Jeanne, mais elle se dit que, si la guerre se montrait à elle avec ce visage d’horreur, elle la confortait dans le crédit qu’elle accordait à ses voix. Elles ne l’avaient pas trompée : par sa bannière et son épée, elle venait de sauver Orléans.
Et sauver Orléans, c’était sauver l’héritage du dauphin.
Gilles embrassa Jeanne, mêla ses larmes aux siennes.
– On m’avait abusé, dit-il. J’ai cru longtemps, comme les Anglais, que vous étiez une sorcière. Aujourd’hui, je sais que vous êtes un personnage hors du commun, peut-être une sainte. Sans votre secours nous aurions piétiné longtemps devant ces bastilles, puis nous aurions fini par renoncer. Je me connais comme je connais ceux qui m’entourent : pour nous battre, aussi courageux que nous soyons, il nous manquera toujours un élément essentiel : la foi. Si vous leur en donniez l’ordre, nos hommes vous suivraient jusque sous les murs de Jérusalem, car vous auriez assez de foi pour les entraîner tous.
Jeanne éclata de rire.
– J’y ai déjà songé, dit-elle.
Tout se brouilla dans sa tête et elle s’effondra dans les bras de Gilles.
Toute la nuit, on fit la fête dans Orléans, jusque dans la demeure de Jacques Boucher, devant laquelle on avait allumé un feu de joie avec les bannières, étendards et pennons pris aux Anglais.
– Dors, dit Charlotte. Le chirurgien vient de renouveler ton pansement. C’est une vilaine blessure, mais elle guérira vite et tu pourras repartir bientôt. Car tu repartiras, je suppose ?
– Il le faudra bien. Je dois conduire le dauphin à Reims pour le faire sacrer et couronner. Ensuite je retournerai chez moi, à Domrémy. J’irai peut-être en pèlerinage au Puy. Mais avant...
Avant, il lui restait une tâche à
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