Et Dieu donnera la victoire
sommes dimanche, dit-elle. J’espère que Talbot ne voudra pas combattre ce jour-là qui est la fête de l’apparition de saint Michel.
– Revêtirez-vous votre cuirasse ou votre cotte de mailles ? demanda l’écuyer Louis de Coutes.
Elle renonça à l’une comme à l’autre et revêtit simplement sa huque flottante sur sa chemise. Elle embrassa Charlotte qui dormait encore en travers du lit, déjeuna confortablement et sauta à cheval.
Le vieux maréchal de Boussac avait déjà fait sortir quelques compagnies le long des fossés. Jeanne chancela en voyant, en face d’elle, entre les bastilles, l’armée anglaise rangée en ordre de bataille, en trois groupes, insignes déployés dans le petit matin aigrelet qui sentait la pluie. Talbot se tenait à cheval en première ligne, au centre du dispositif, encadré sur ses ailes par les corps d’armée de Suffolk et de Scales.
Un vol de corneilles affolées passa en rafale entre les deux armées. Des mariniers qui revenaient du fleuve longeaient en courant les fossés en cinglant de coups de trique leur bourricot chargé de panières ruisselantes. L’âne se mit à braire, puis le silence retomba, lourd comme la dalle d’un sarcophage.
– J’ai eu beaucoup de mal, dit Boussac, à retenir les gens de la milice : ils voulaient attaquer sans attendre. Les Anglais en auraient fait un massacre.
– Vous avez eu raison, dit Jeanne, il ne faut pas attaquer les premiers. Nous allons d’abord entendre la messe du saint dimanche. Cela fera impression sur l’ennemi : il n’osera pas prendre l’offensive dans ces conditions. Cela nous laissera du temps pour nous préparer. D’ailleurs, rien ne dit que Talbot ait décidé de reprendre le combat après l’échec que vient de subir Glassidas...
– ... et peut-être qu’il attend que tu ailles lui faire tes adieux avec la bise ! ironisa une voix derrière elle.
La Hire venait d’arriver en compagnie de Gilles de Rais et de quelques autres capitaines.
– Vous avez eu du mal à vous réveiller ! leur lança Jeanne. Vous avez dû passer la nuit à festoyer avec des gueuses. Une bonne messe vous remettra d’aplomb.
Tête basse, ils la suivirent jusqu’à un espace de guéret à l’herbe jaunie par une précoce canicule et piétinée par le troupeau. Pasquerel avait fait dresser un autel de campagne devant une croix de pierre, où le vieil évêque somnolent s’apprêtait à célébrer l’office du dimanche. La manécanterie de Gilles, en robe blanche, entonna un cantique de Guillaume de Machault. De tout le temps de la célébration que Jeanne avait voulu abréger, l’armée anglaise demeura immobile et muette comme des soldats de bois.
Le Deo gratias à peine achevé, Jeanne se pencha à l’oreille de Gilles et lui dit :
– Je trouve que les Anglais se conduisent d’une manière bizarre. Ils sont sur pied de guerre mais ne bronchent pas. Avez-vous entendu un mot sortant de leur bouche, un chant de guerre, une musique de cornemuse ?
– Ils doivent espérer nous entraîner en rase campagne pour renouveler leurs exploits d’Azincourt et de Verneuil, mais nous ne tomberons pas dans leur piège ! Les yeomen doivent avoir déjà une flèche dans l’encoche et les cornemuseux l’embouchure aux lèvres. Ce qui me semble singulier, c’est qu’ils n’aient pas planté sur leurs avants des pieux comme ils le font d’ordinaire pour bloquer les charges de cavalerie. Peut-être aussi... Souvenez-vous, Jeanne, de ce que vous leur avez lancé hier : « Partez et vous aurez la vie sauve ! »
Jeanne se dressa soudain sur ses étriers.
– Regardez, Gilles ! Est-ce que je rêve, ou bien...
Talbot venait de faire effectuer une volte-face à son cheval et donnait le signal du départ. Elle s’écria :
– Ils s’en vont, Gilles ! Ils s’en vont !
– C’est vous qui êtes la cause de ce départ, dit Gilles. Ce n’est pas nous que redoute Talbot, mais vous !
Jeanne donna l’ordre aux dizainiers qui s’avançaient pour talonner les fuyards d’arrêter leur élan. Elle se porta ensuite vers La Hire et Loré qui s’apprêtaient eux-mêmes à se lancer à la poursuite des Anglais.
– Rassure-toi, dit La Hire, nous ne comptons pas les attaquer, du moins aujourd’hui. Les chiens battus sont dangereux. Nous allons simplement leur faire un brin de conduite sur quelques lieues pour voir où ils se dirigent.
Impossible de retenir les miliciens et les soldats lorsqu’ils s’engouffrèrent dans les
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