Et Dieu donnera la victoire
bastilles abandonnées. Les Anglais n’ayant pas jugé bon d’emmener dans leur retraite leurs blessés et les prisonniers français, ils firent un carnage des premiers et libérèrent les seconds. On s’empara de ce qui restait de munitions, on traîna dans la ville les bombardes et autres bouches à feu que l’on trouva. Trompant la vigilance de la Pucelle, quelques dizainiers entraînèrent leurs hommes dans le sillage des Godons, harcelant leurs arrières, pillant les chariots de vivres et d’armement, massacrant les canards boiteux, sans que La Hire et Loré fissent rien pour les arrêter.
Les deux capitaines accompagnèrent les Anglais sur trois lieues, à distance respectueuse. Ils ne décidèrent de revenir à Orléans que lorsqu’ils virent l’armée de Talbot se scinder en deux corps et emprunter des voies différentes.
– Ils font exactement ce que nous aurions fait à leur place, dit La Hire, renforcer les contingents qui tiennent Beaugency et Meung où ils attendront patiemment l’arrivée de Falstaff. C’est là que nous les retrouverons.
Dans le matin grisâtre, à travers une légère pluie de printemps, Jeanne resta un long moment au bord du fossé à regarder au loin brûler les bastilles.
8
La campagne de Loire
Orléans, mai 1429
On chercha Charlotte durant une heure : elle avait disparu. Une servante finit par la trouver en larmes dans le grenier et dut la menacer du fouet pour qu’elle consentît à la suivre.
– Ce n’est pas sérieux, gronda Jeanne. Une grande fille comme toi... As-tu pensé à l’inquiétude de tes parents et à la mienne ?
Charlotte sortit ses griffes.
– Et toi, dit-elle, lorsque tu as quitté Domrémy, as-tu songé à la peine que tu faisais à tes parents ? Et quand tu te prépares à partir, tu te moques du mal que tu me fais !
Elle éclata en sanglots, s’accrocha à Jeanne, lui martela la poitrine.
– Arrête ! cria Jeanne. Tu me fais mal. Ma blessure...
Charlotte la prit à bras-le-corps en gémissant :
– Pardon, ma Jeanne, pardon ! Tu reviendras, dis ?
– Je reviendrai.
– Tes voix te l’ont dit ?
– Elles me l’ont dit, et même que je viendrai finir mes jours à Orléans, avec toi. Alors, tu vois...
Vidée de sa colère, Charlotte se laissa tomber sur les genoux comme une chiffe, serra dans ses bras les jambes de Jeanne.
– J’aurais voulu partir avec toi, dit-elle d’un air têtu, te suivre partout, te protéger.
– Tu en veux trop, ma Charlotte. Si je risquais un gros danger, saint Michel m’en avertirait. Veux-tu que je te laisse un souvenir de moi ? Une breloque ? Un cheval ? Pas Pollux, j’y tiens trop. Un bijou, peut-être...
– C’est ton chapeau que je veux.
– Mon bassinet à queue ? Qu’est-ce que tu en ferais ?
– Non, celui que tu portais quand tu te promenais en ville ou sur les bords de la Loire avec moi. Celui qui est en satin brodé d’or, en tissu bleu, avec une fleur de lys en cuivre doré. Je le porterai tous les jours en pensant à toi.
– Eh bien, tu l’auras ! De toute manière, là où je vais, je n’en aurai pas l’usage.
Au grand dam de la Pucelle, la belle armée de Blois se défaisait au jour le jour.
Le premier à partir fut Florent d’Illiers, capitaine de Châteaudun : il redoutait que les Anglais qui tenaient le château de Marchenoir ne profitent d’une trop longue absence de sa part pour lui chercher noise.
Le second, à la surprise générale, fut Gilles de Rais, le chef suprême de l’expédition.
– Comprenez-moi, Jeanne, dit-il, mes hommes sont las et souhaitent rentrer chez eux pour les moissons. De ma part, considérez ce départ comme une absence provisoire et pas comme un abandon. Je reviendrai bientôt. Nous avons encore, vous et moi, des batailles à livrer.
Dans les jours qui suivirent, d’autres capitaines quittèrent Orléans avec armes et bagages, les uns pour la Beauce, les autres pour la Sologne, le Gâtinais ou le Poitou. Jeanne n’avait elle-même plus rien à faire à Orléans. Elle quitta la ville un matin, en évitant Charlotte, ce qui eût occasionné une autre effusion de larmes. Elle s’arrêta à Blois en compagnie de La Hire et y resta deux jours.
Il lui dit, avant de s’en aller vers d’autres aventures :
– Jeanne, je t’aime trop pour partir en te laissant des illusions dangereuses. Ces capitaines, ces bons compagnons, qui t’ont quittée, n’ont pas failli à leur tâche et même certains se seraient fait tuer pour
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